On le sait, le Québec a besoin de bras pour combler ses pénuries dans les secteurs de la santé et de la construction. Il a besoin de personnel dans ces secteurs névralgiques pour répondre, justement, à la forte croissance de la population, surtout attribuable à l’immigration.

Or, les employés de ces deux secteurs clés constituent une part très faible de l’immigration temporaire et permanente, confirme une étude publiée lundi par l’Institut du Québec (IDQ)⁠1.

Selon les chiffres de l’IDQ, par exemple, seulement 3 % des immigrants temporaires travaillent dans le secteur de la construction, deux fois moins que dans la population active du Québec (7 %).

Dans le cas de la santé et des services sociaux, l’écart est encore plus grand : environ 8 % des travailleurs temporaires œuvrent dans ce secteur, beaucoup moins que la population en général (14 %).

Dit autrement, le bassin de nouveaux arrivants dans ces deux secteurs n’est pas suffisant pour réduire la pénurie de logements et l’attente dans les urgences. Plutôt que de résorber ces problèmes, l’immigration temporaire risque donc d’y contribuer⁠2.

L’an dernier, le Québec comptait 167 435 travailleurs étrangers temporaires, auxquels s’ajoutent 117 745 étudiants étrangers et des milliers de demandeurs d’asile, constate l’IDQ.

Cet afflux de nouveaux arrivants – au moins trois fois plus qu’en 2015 – fait pression sur le marché immobilier et les services publics, d’autant que ces services sont généralement gratuits au Québec, donc plus demandés. D’où l’importance de recruter dans ces deux secteurs de l’immigration.

La situation du Québec en construction est unique parmi les grandes provinces canadiennes. Ici, 11 % des travailleurs de la construction sont issus de l’immigration, qu’elle soit permanente (10 %) ou temporaire (1 %). En Ontario, cette proportion est de 29 % (26 % permanente et 3 % de temporaires). Même constat en Colombie-Britannique et en Alberta.

L’écart s’explique, me direz-vous, par la proportion plus faible des immigrants au Québec comparativement à ailleurs au Canada, mais cet argument ne tient pas la route. En Ontario, par exemple, la présence des immigrants dans la construction (29 %) avoisine celle dans l’ensemble de l’économie (37 %), alors qu’au Québec, c’est du simple au double (11 % dans la construction contre 19 % dans l’économie en général).

Dans l’industrie de la construction, les entrepreneurs du Québec justifient leur frilosité à embaucher des travailleurs immigrants par les coûts élevés d’attraction et de recrutement jumelés à une saison de travail relativement courte.

Le ralentissement économique de l’année 2023, comme des mises en chantier, est aussi de nature à freiner l’afflux de travailleurs temporaires dans l’industrie de la construction.

L’IDQ croit plutôt que « cette sous-représentation pourrait en partie s’expliquer par une réglementation plus complexe et contraignante au Québec, qui entrave le recrutement de travailleurs étrangers et la reconnaissance de leurs compétences ».

Le ralentissement de 2023, faut-il ajouter, ne durera pas. L’industrie de la construction continuera de fleurir au cours des prochaines années, avec les nombreux logements à construire et les travaux d’infrastructures (écoles, ponts, transports en commun, projets d’Hydro-Québec, etc.). Ces travaux seront jumelés à une main-d’œuvre vieillissante.

Quant au secteur de la santé, la pénurie de main-d’œuvre reste « obstinément élevée », avec 45 000 postes vacants, et ni le ralentissement ni l’afflux de travailleurs temporaires n’a changé la donne en 2023, constate Emna Braham, directrice générale de l’IDQ.

Est-ce le Québec qui boude les immigrants en construction et en santé, ou l’inverse ?

Chose certaine, le gouvernement Legault est conscient du problème. Ces deux secteurs ont été ciblés comme prioritaires dans son « Opération main-d’œuvre », et des missions de recrutement à l’international ont été lancées en 2023 pour ces secteurs, une première.

Par ailleurs, il ressort de l’analyse de l’IDQ que le secteur manufacturier québécois reçoit plus que sa part de travailleurs temporaires (16 % du total alors que ce secteur compte 11 % des travailleurs québécois). Même constat pour l’hébergement et la restauration (9 % contre 5 %).

Certes, la pénurie est sévère en restauration, mais on peut davantage se passer de serveurs et de cuisiniers que d’infirmières, n’est-ce pas ?

Les professionnels au sommet

D’ailleurs, bonne nouvelle, le secteur des services professionnels, scientifiques et techniques (informaticiens, comptables, ingénieurs, etc.) vient au sommet des secteurs d’attrait pour le Québec, puisqu’il représente 16 % des travailleurs temporaires, deux fois plus que leur proportion dans la population active (8 %).

Ce bassin est souvent composé de travaillers étrangers qui ont terminé leurs études collégiales ou universitaires au Québec.

Quoi qu’il en soit, l’analyse de l’IDQ fait ressortir qu’une grande proportion des immigrants permanents ont d’abord été temporaires. En 2021, 44 % des nouveaux permanents avaient d’abord été temporaires, proportion qui a reculé à 32 % en 2023, mais qui était de seulement 18 % en 2015.

Et parmi ces nouveaux permanents ex-temporaires, 75 % viennent du Programme de mobilité international (PMI) fédéral, plutôt que du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) québécois.

Ce phénomène s’explique notamment par le fait que de nombreux nouveaux permanents sont des étudiants étrangers de nos établissements qui envahissent notre marché du travail, après avoir obtenu un permis fédéral PMI. Les études démontrent d’ailleurs que ces étudiants s’intègrent bien mieux au marché du travail que les autres permanents et ont de meilleurs revenus.

Bref, ils ont des jobs payants, un objectif cher à François Legault, qu’un éditorial du Globe and Mail, ironiquement, a ni plus ni moins cautionné lundi.

Le quotidien torontois soutient maintenant qu’il faut moins de travailleurs peu formés et plus d’immigrants hautement qualifiés, ce qui est de nature à hausser le niveau de vie des Canadiens et à stimuler la productivité. Tiens, tiens…

1. Consultez le rapport de l’Institut du Québec 2. Lisez la chronique « Les indispensables »