On a beaucoup parlé du nombre d’immigrants à accueillir et de leur maîtrise du français. Mais au-delà de ces questions, le gouvernement Legault doit impérativement s’assurer que notre réseau public est bien capable d’absorber le flot de nouveaux arrivants.

Les milliers de personnes qui entrent au Québec – environ 150 000 en 2022 – ont besoin de services publics, notamment en santé et en éducation. Pour éviter que n’empire la saturation du réseau public, il faut qu’une part importante des nouveaux immigrants viennent y occuper des postes névralgiques.

Au Québec, un emploi sur cinq est actuellement occupé par des travailleurs de la santé et de l’enseignement. Des éducatrices, des profs, des infirmières, des médecins, des travailleurs sociaux, des physiothérapeutes, etc. Si la proportion de nouveaux immigrants qui travaillent dans ces secteurs n’atteint pas ce quota de 1 sur 5, les places en garderie deviendront encore plus rares et les temps d’attente en santé, plus longs.

Qu’en est-il dans les faits ? L’an dernier, environ 30 000 travailleurs temporaires – autres qu’agricoles – ont été acceptés par Québec, selon un récent décompte détaillé de la firme Auray. Il s’agit d’immigrants embauchés par des employeurs pour leurs compétences et appelés à devenir permanents, éventuellement. Ils sont soudeurs, cuisiniers, informaticiens, mécaniciens ou manœuvres en transformation alimentaire, par exemple.

Ces données d’Auray nous permettent d’avoir un aperçu des métiers et professions occupés par nos immigrants. Or, parmi ces 30 000, seuls 6 % travaillent dans les secteurs de la santé et de l’éducation, beaucoup moins que les 20 à 22 % du bassin actuel de travailleurs au Québec.

Même constat pour l’industrie de la construction. Les nouveaux arrivants ont besoin de logements, qui sont de plus en plus rares partout au Québec. Pour les construire, il faut des menuisiers et d’autres travailleurs de la construction.

Or, seulement 3 % des quelque 30 000 travailleurs immigrants temporaires acceptés au Québec travaillent dans ce secteur, soit deux fois moins que le bassin québécois actuel, d’environ 7 %. Bref, il manquera de bras pour construire des logements et endiguer la crise.

Ces chiffres sont approximatifs et ne tiennent pas compte de l’ensemble du portrait. Il faudrait ajouter les étudiants et travailleurs admis dans les autres programmes d’immigration. Et bon, le Québec n’a pas une économie planifiée comme l’ex-Union soviétique, fort heureusement. Il reste que ces données font réfléchir sur notre politique d’immigration et sur ses effets.

Ce qui m’amène à parler de la réforme de l’immigration de la ministre Christine Fréchette, justement.

La ministre propose deux scénarios. Le premier ferait grimper le nombre annuel d’immigrants permanents à 60 000 d’ici 2027, auquel il faudrait ajouter les quelque 8000 étudiants étrangers éventuellement admis par le Programme de l’expérience québécoise (PEQ). Le deuxième scénario maintiendrait le statu quo, de 50 000 immigrants, en incluant les étudiants.

Les milliers d’immigrants additionnels du premier scénario répondraient en partie aux demandes des entreprises, dont les affaires sont freinées par la pénurie de main-d’œuvre. Québec voudrait d’ailleurs que 70 % de ces 60 000 immigrants soient « économiques », par opposition aux regroupements familiaux (17 %) ou aux réfugiés (12 %). Le seuil actuel est de 64 %.

L’un des principaux objectifs de la réforme Fréchette, outre le français et les étudiants, est justement lié à la pénurie de main-d’œuvre. Cet objectif sera essentiellement comblé par un nouveau programme appelé le Programme de sélection des travailleurs qualifiés (PSTQ).

Le nouveau PSTQ s’intéressera davantage aux compétences des immigrants, ainsi qu’aux métiers et professions qu’ils veulent occuper, ce qui n’est pas le cas actuellement. La grille de sélection actuelle, qui avantage les universitaires sans égard aux besoins du marché, sera éliminée, ce qui diminuera les risques de surqualification (le mathématicien chauffeur de taxi), espère la ministre.

Oui, mais les infirmières et enseignants ? J’y arrive.

Pour devenir immigrants permanents, les demandeurs présentent ce qu’on appelle une déclaration d’intérêts au gouvernement, qui « invite » les personnes une fois choisies. Les demandeurs peuvent être autant des travailleurs temporaires déjà sur place que des immigrants de l’étranger⁠1.

Avec un tel processus, Québec pourra donc être chirurgical dans ses sélections et mieux se coller aux besoins du marché du travail. Et justement, l’un des volets du PSTQ devrait permettre au gouvernement de choisir spécifiquement du personnel dans les secteurs de la santé et de l’éducation, entre autres.

180 000 personnes veulent immigrer au Québec

Le Québec a l’embarras du choix, si l’on peut dire. Depuis 12 mois, 180 000 personnes ont déposé des déclarations d’intérêts pour avoir l’éventuelle résidence permanente au Québec, soit bien davantage que les 50 000 ou éventuellement 60 000 qui seront choisis annuellement.

Y a-t-il dans ces 180 000 personnes suffisamment de gens destinés à la santé et à l’enseignement pour suffire à la demande ? Impossible de le savoir.

Par ailleurs, la réforme rendra quasi automatique la sélection des étudiants étrangers qui ont fait leur formation dans un établissement francophone du Québec, peu importe la nature de leurs études. Cet automatisme s’explique par les modifications apportées au Programme de l’expérience québécoise (PEQ), qui éliminera toute exigence de travail.

Les étudiants des universités anglophones, même s’ils parlent français, ne pourront utiliser le PEQ et devront passer par le PSTQ.

Tout indique que le volet du PEQ qui touche les travailleurs étrangers temporaires sera abandonné, et que les demandeurs seront redirigés vers le nouveau PSTQ.

L’immigration est un volet important de notre développement social et économique. Et comme bien des Québécois, je suis fort heureux quand je constate qu’un immigrant s’épanouit ici, embrasse notre culture et contribue au développement du Québec. Reste à voir si la réforme parviendra à atteindre cet objectif ultime.

1. Le gouvernement fédéral vérifie l’admissibilité des personnes (santé, sécurité, criminalité), accorde les visas et les permis de séjour temporaire et accorde la résidence permanente et la citoyenneté.