La dernière chose qu’on imagine en découvrant que son véhicule a disparu, c’est qu’il a été saisi, par erreur, par un huissier. C’est pourtant ce qui est arrivé à une Lavalloise, à l’automne 2022. Même si elle a réussi à récupérer son Range Rover, l’infirmière n’était pas au bout de ses peines. Elle se bat encore contre l’assureur professionnel de l’huissier pour qu’on lui rembourse les frais de 14 400 $ engendrés par cette improbable mésaventure.

En sortant du travail, un soir de novembre, l’infirmière Clarissa Nolasco constate que son véhicule est introuvable. Elle porte plainte pour vol à la police, avant d’apprendre ce qui s’est passé. Son Range Rover 2012 a plutôt été saisi par un huissier, à la demande d’une banque. Il a même été vendu !

En réalité, l’huissier de la firme Hainault Gravel devait remorquer un Land Rover 2014 appartenant à un homme.

L’huissier a mis la faute sur la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) qui lui aurait confirmé qu’il saisissait le bon véhicule. La SAAQ jure pourtant qu’elle ne transmet jamais ce genre d’information. Cette partie du récit est franchement énigmatique, pour ne pas dire inquiétante, comme on a pu le voir à l’émission La facture⁠1 il y a un an.

PHOTO FOURNIE PAR SON AVOCAT

Clarissa Nolasco

Ce qui est tout aussi stupéfiant, c’est que Clarissa Nolasco n’a toujours pas été indemnisée, même s’il est clair qu’elle a été victime d’une erreur et malgré la médiatisation de l’histoire. Son véhicule a été brisé dans l’opération de remorquage, ce qui a occasionné une facture de 7331 $ chez le garagiste. Et en attendant que les réparations soient faites, l’infirmière a dû débourser 6125 $ pour louer un véhicule.

Elle réclame aussi 10 000 $ pour les dommages moraux. Pour payer ses factures, la femme a été forcée de faire « beaucoup de temps supplémentaire », précise la demande introductive d’instance.

C’est la compagnie d’assurance de Québec Beneva qui assure les membres de la Chambre des huissiers de justice du Québec. Il s’avère qu’elle multiplie les démarches et les demandes, ce qui allonge sans cesse les délais, dénonce un avocat qui a accepté de prendre en charge gratuitement le dossier de Clarissa Nolasco.

« Deux semaines avant les Fêtes, ils nous ont promis une offre de règlement qu’on attend encore […] Ils essaient d’étirer le temps et d’épuiser ma cliente. Bien candidement, je ne pensais pas me rendre là », soupire MJean-Maxim LeBrun, du cabinet Dunton Rainville.

Beneva n’a pas voulu commenter cette affaire « car le dossier est actuellement judiciarisé ». On m’a simplement écrit que les délais de traitement des réclamations dépendent d’une série de facteurs qui ne sont pas nécessairement imputables à l’assureur comme le nombre de témoins, la présence d’experts-conseils, le montant réclamé et le recours à des procédures judiciaires. Surprise, quelques heures plus tard, soit mardi après-midi, Clarissa Nolasco a reçu une offre. Il est bien trop tôt pour savoir si elle sera acceptée.

Ce n’est pas tous les jours qu’un huissier saisit le mauvais véhicule, j’en conviens.

Mais cette mésaventure illustre à merveille comme il peut être laborieux et long d’être dédommagé après avoir été victime d’une faute ou d’une erreur de la part d’un professionnel. Même si l’assurance responsabilité sert à indemniser, le chemin vers la réception d’un chèque peut être éprouvant.

Dans certains cas, le recours à des expertises de toutes sortes est nécessaire, ce qui allonge les délais. C’est le cas en matière d’erreurs médicales. « Le problème, c’est de trouver un expert qui veut témoigner contre un autre. Pour une cliente qui n’avait pas été opérée à la bonne jambe, j’ai mis des mois à trouver un orthopédiste », relate l’avocat Jimmy Lambert (du cabinet homonyme), qui occupe une bonne partie de son temps avec ce genre de causes. C’est sans compter que le processus peut être coûteux s’il faut se rendre devant les tribunaux avec un avocat. Aux petites créances, la réclamation maximale est de seulement 15 000 $.

J’ai d’ailleurs hâte de savoir si le couple qui a payé sa maison 40 000 $ trop cher à cause du stratagème d’offres bidon des courtiers immobiliers Christine Girouard et Jonathan Dauphinais-Fortin récupérera rapidement son argent.

Après avoir déposé une promesse d’achat sur une maison à Repentigny, le couple a appris qu’il y en avait une autre sur la table. Or, cette offre beaucoup trop basse pour être prise au sérieux avait été signée uniquement dans le but de faire grimper les enchères, comme l’a révélé ma collègue Isabelle Dubé⁠2.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Les deux courtiers ayant utilisé le stratagème des offres bidon, Christine Girouard et Jonathan Dauphinais-Fortin

Ça a fonctionné. Le couple a bonifié son offre de 40 000 $. Maintenant que la vérité a éclaté au grand jour, les victimes ont tout en main pour obtenir justice de la part du Fonds d’indemnisation du courtage immobilier (FICI). Espérons pour elles que ce sera rapide et simple. Ce qui leur est arrivé est choquant.

Depuis 2019, le FICI a reçu 331 demandes d’indemnisation. Du lot, 10 % se sont soldées par un paiement dont la moyenne n’est que de 422 $.

Au Québec, le Code des professions prévoit que les membres des 46 ordres professionnels doivent maintenir une « garantie contre leur responsabilité en cas de faute ».

Le Fonds d’assurance responsabilité professionnelle du Barreau du Québec (FARPBQ) ouvre en moyenne 440 dossiers par année avec un reproche formel fait contre l’avocat. Une indemnité est versée dans environ 20 % des cas et le délai moyen de fermeture des dossiers est de 17 mois.

Le fonds d’assurance des CPA a reçu l’an dernier 155 demandes et en a traité 62. Parmi elles, 18 % se sont soldées par un paiement dont la moyenne était de 7235 $.

Du côté des notaires, 399 réclamations ont été déposées l’an dernier au Fonds d’assurance responsabilité et 75 % des dossiers ont été fermés sans paiement. Le délai de traitement moyen n’est pas public. En 2018, la Cour supérieure avait réprimandé le Fonds⁠3 parce que sa « seule préoccupation » avait été, dans un dossier précis, « d’éviter tout déboursé ».

Même s’il est légitime pour un assureur de vouloir payer le moins possible, il ne peut, pour atteindre son but, « abuser de son droit, s’opposer de manière frivole et vexatoire et manœuvrer pour faire écouler du temps », avait écrit la juge Johanne Brodeur.

Malgré cette mise en garde, il ne serait pas étonnant que cette stratégie soit encore employée par des assureurs, ce qui est hautement déplorable vu les moyens inégaux dont disposent les parties en cause. Si vous avez une histoire à raconter, n’hésitez pas à m’écrire.

1. Lisez « Un huissier saisit la mauvaise voiture » 2. Lisez « L’acheteur floué espère récupérer bientôt son argent » 3. Consultez le jugement