La chronique est un art qui se pratique souvent dans le feu de l’action. La fin de l’année est une bonne occasion pour nos chroniqueurs de voir ce qu’ils auraient pu faire différemment, avec le recul.

Pour bien des Québécois, 50 000 $, c’est le salaire pour une année entière de travail. Pour les courtiers immobiliers, cette somme peut facilement représenter la commission d’une seule vente depuis que les propriétés de 1 million de dollars ne sont pas rares.

La somme n’est pas versée directement dans les poches d’un seul courtier. Elle est généralement partagée entre deux courtiers qui doivent débourser certains frais. Mais quoi qu’il en soit, la commission – taxable – est payée par une seule personne, celle qui a vendu sa propriété. C’est une facture colossale. En général, les courtiers touchent de 4 à 7 % du prix de vente final, avec une moyenne à 5 %.

Quand on donne quelques dizaines de milliers de dollars à un courtier pour ses services, on s’attend à un service professionnel, irréprochable, attentionné. On est aussi en droit d’exiger la plus grande éthique. Après tout, son travail est régi par la Loi sur le courtage immobilier.

Avec le recul, je constate que l’année 2023 aura été particulièrement éprouvante pour les courtiers et leur réputation. Quelques vedettes du milieu ont terni l’image de la profession. Les révélations gênantes concernant leurs pratiques douteuses et parfois même interdites se sont accumulées, ce qui aurait amplement mérité une chronique.

Ce n’est pas pour rien que DuProprio occupe la première position du palmarès de Protégez-Vous sur les services en immobilier dévoilé au début de décembre.

Plus de 800 personnes qui ont récemment acheté ou vendu une propriété ont noté la qualité des services reçus. Pas moins de 84 % des clients de DuProprio, une entreprise qui accompagne ceux qui préfèrent se passer des services d’un courtier, recommandent ses services.

Via Capitale arrive au deuxième rang du classement, avec un taux de recommandation de 70 %. C’est donc dire que même l’agence la plus appréciée n’a pas obtenu un score à tout casser. Les plaintes de clients envers leur courtier sont diverses : pression pour l’embauche d’un notaire ou d’un inspecteur en bâtiment en particulier, encouragements à bonifier la promesse d’achat, incitation à renoncer à l’inspection ou même à la garantie légale.

D’autres dérives préoccupantes ont fait les manchettes.

La courtière vedette de la chaîne Casa Christine Girouard et son conjoint Jonathan Dauphinais-Fortin sont suspectés d’avoir ourdi un stratagème d’offres bidon pour créer des enchères artificielles découvert par ma collègue Isabelle Dubé. Leurs permis ont été révoqués. Et que dire de Brigitte Le Pailleur, une courtière à la tête d’une agence qui a réalisé un profit de 500 000 $ sur le dos de ses clients en achetant leur immeuble à bas prix ? Dieu merci, elle a écopé d’une amende historique de 150 000 $, mais la stratégie est banalisée dans l’industrie.

À Gatineau, le courtier Yassine Chentoufi a été suspendu après avoir réalisé, selon toute vraisemblance, 11 transactions frauduleuses lui ayant rapporté 231 290 $. Il est question de prête-noms impliqués à leur insu, de signatures contrefaites, de faux documents.

L’histoire qui m’a le plus découragée ? Celle-ci : à peine 16 mois après des modifications à la Loi sur le courtage immobilier pour interdire aux courtiers de représenter en même temps l’acheteur et le vendeur, les règles ont dû être changées à nouveau parce que des courtiers avaient trouvé… une façon de les contourner. Ce n’est guère édifiant.

Tout cela s’ajoute au fait que le nombre de courtiers visés par une enquête en déontologie a triplé en 2022 par rapport à 2020. Abus de confiance, fausses signatures, opérations illégales de gonflement de prix… l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ) en a vu de toutes les couleurs. Cette année, les plaintes sont encore en hausse de 20 %.

Vous me direz qu’on peut trouver des personnes qui nuisent à la crédibilité de leurs confrères dans toutes les professions. C’est vrai. Mais dans le cas du courtage immobilier, les conséquences d’un manque d’éthique peuvent être majeures et coûter une fortune. On parle de l’achat le plus important d’une vie.

Le grand public doit impérativement être protégé, ce qui suppose une rigueur extrême. Or, à l’évidence, l’autoréglementation n’est pas suffisante.

Il faudrait augmenter le montant des amendes pour qu’il soit conséquent avec la rémunération des courtiers. Des pénalités de 3000 $ ne décourageront jamais les comportements néfastes. On devrait aussi améliorer la formation des courtiers. Elle n’est pas particulièrement longue en regard de l’importance des transactions conclues.

Réfléchissons aussi à des manières d’accroître la transparence. Un exemple parmi d’autres : le courtier qui représente un vendeur peut facilement prétendre qu’il a reçu une poignée d’offres d’achat pour faire grimper les enchères même si ce n’est pas le cas. Impossible de vérifier, les documents ne sont pas accessibles.

Quant à la rémunération des courtiers, il serait temps de trouver une formule plus adéquate. Le prix de vente médian des maisons unifamiliales à Montréal a bondi de 53 % depuis trois ans, ce qui a propulsé les commissions à des sommets. Le travail des courtiers ne s’est pourtant pas allongé de 53 %.

Au moins, on a senti que l’OACIQ prenait davantage son mandat au sérieux. Des permis ont été révoqués avec promptitude. On a tenté de mieux communiquer avec le public et les médias, deux groupes qui ont souvent remis en doute sa compétence et ses véritables intérêts. Mais il reste beaucoup de chemin à faire pour que les demandes d’information soient traitées dans un délai acceptable. L’OACIQ doit continuer d’améliorer sa crédibilité pour que les Québécois puissent conclure des transactions immobilières en toute confiance.