Avec la dégradation marquée des relations diplomatiques entre le Canada et la Chine et les difficultés de plus en plus grandes pour les entreprises canadiennes de pouvoir y faire des affaires, l’Inde devait devenir l’entrée commerciale de substitution toute désignée pour permettre à nos entreprises d’accéder au marché asiatique. Il ne faudrait surtout pas que cette autre fenêtre se referme.

Les révélations chocs qu’a faites lundi le premier ministre Justin Trudeau sur les liens possibles entre le gouvernement indien et l’assassinat d’un leader sikh en Colombie-Britannique ont semé une stupeur certaine.

Si le premier ministre a voulu aller au-devant des coups en dénonçant cette possible nouvelle ingérence étrangère sur le territoire canadien, sa sortie contre le gouvernement indien risque de refroidir un partenaire commercial que le Canada courtise ouvertement depuis plus de 10 ans en vue de la signature d’un accord de libre-échange.

Une cour qui s’est faite plus insistante depuis que les relations politiques et économiques du Canada avec la Chine sont tombées à leur plus bas à la suite de l’arrestation à Vancouver, en décembre 2018, de la directrice financière de l’entreprise chinoise de télécommunications Huawei, Meng Wanzhou, et de la riposte de Pékin avec l’emprisonnement des deux Michael.

Mais avant même ce refroidissement extrême des relations sino-canadiennes, les différents gouvernements à Ottawa ont toujours voulu se distancier du dirigisme chinois en cherchant à diversifier la présence canadienne dans la région de l’Asie-Pacifique.

Et l’Inde, pays le plus populeux au monde avec ses 1,4 milliard d’habitants et qui partage un attachement à la démocratie et au droit, est devenue un marché de substitution de très grand intérêt pour les entreprises canadiennes, d’autant que le pays affiche depuis une décennie une croissance annuelle de l’ordre de 7 % son produit intérieur brut.

Si la valeur des échanges commerciaux entre le Canada et l’Inde est loin d’avoir encore atteint un niveau optimal à 10 milliards, plus de 400 entreprises canadiennes y font des affaires sur place.

C’est notamment le cas de CGI, multinationale québécoise de conseil, d’impartition et de développement informatique, qui exploite des centres de développement à Bombay (Mumbai) et aussi à Bangalore, capitale mondiale du génie logiciel. CGI a augmenté sa présence en Inde au fil des ans pour pouvoir mieux concurrencer les entreprises du secteur qui ont toutes d’importantes équipes sur place.

CGI emploie aujourd’hui plus de 20 000 spécialistes des technologies de l’information en Inde, ce qui représente 22 % de ses effectifs totaux dans le monde.

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Serge Godin, PDG de CGI

Son PDG, Serge Godin, a dit comprendre la sortie du premier ministre Trudeau lundi, mais souhaite surtout que le contentieux entre le Canada et l’Inde ne prenne pas des proportions hors normes. Le Canada ne peut pas se le permettre, estime le fondateur de CGI.

Des entreprises inquiètes

CGI n’est pas la seule entreprise qui a une présence en Inde. Des sociétés comme Canam, Optel, Exfo ou CAE ont des activités sur place pour profiter de l’expertise en génie qu’a développée le pays.

Chaque année, le réseau universitaire indien produit plus de 300 000 ingénieurs qui peuvent travailler en technologies de l’information. C’est un vivier mondial dans le domaine.

D’autres entreprises québécoises se sont implantées en Inde pour profiter d’une main-d’œuvre agile et de la forte activité économique que génère la mise en place d’infrastructures de toutes sortes.

C’est le cas d’EPIQ Machinerie, une entreprise de Saint-Bruno-de-Montarville qui exploite aussi une usine à Chicoutimi et qui fabrique des équipements lourds et des systèmes de manutention pour l’industrie de l’aluminium.

Éloïse Harvey, PDG d’Épiq Machinerie, vient tout juste de revenir d’un voyage en Inde où elle est allée souligner le 10e anniversaire de la présence du groupe à Pune, une petite ville de 5 millions d’habitants, où le groupe exploite trois usines qui fabriquent des systèmes de manutention.

La sortie du premier ministre a eu l’effet d’une bombe pour l’entreprise québécoise, qui craint que les tensions entre les deux pays se transforment en un conflit stérile qui viendrait ultimement compliquer la vie d’EPIQ Machinerie.

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Éloïse Harvey, PDG d’EPIQ Machinerie

La relation économique entre les deux pays n’est pas menacée, selon nous, mais ce qu’on craint, c’est que le conflit entraîne une lourdeur administrative inutile, que ce soit pour obtenir nos visas quand on va en Inde ou lorsque nos employés viennent suivre des formations au Québec.

Éloïse Harvey, PDG d’EPIQ Machinerie

Le Canada n’a pas les moyens d’entrer seul en guerre commerciale ou diplomatique contre l’Inde et de faire face à d’autres complications en Asie après celles qu’il doit déjà subir avec la Chine.

Le Canada doit faire respecter sa souveraineté, mais il ne peut pas se couper de deux marchés qui totalisent près de 3 milliards d’habitants ni se marginaliser par rapport au reste du monde.