(Ottawa) Qu’ont en commun Ralph Lauren Canada, Nike Canada, Dynasty Gold Corp., Walmart Canada et maintenant Levi Strauss & Co. Canada ? Réponse : ces entreprises sont toutes soupçonnées d’avoir recours au travail forcé des Ouïghours dans le Xinjiang.

L’Ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (OCRE) a annoncé mercredi que les chaînes d’approvisionnement en coton de l’entreprise Levi Strauss & Co. Canada feraient l’objet d’une enquête pour faire la lumière sur ces allégations.

Le fabricant de vêtements connu pour ses jeans et ses vestons en denim vient s’ajouter à une liste de plus en plus longue d’entreprises sur lesquelles pèsent de tels soupçons – il s’agit de la septième investigation déclenchée par l’ombudsman Sherry Meyerhoffer.

« Les allégations formulées par les plaignants soulèvent de sérieuses questions au sujet d’une atteinte possible à un droit de la personne reconnu à l’échelle internationale, soit le droit d’être à l’abri du travail forcé », écrit-elle dans son rapport d’évaluation initiale.

Selon les 28 organisations de la société civile qui ont déposé la plainte, Levi Strauss & Co. Canada entretiendrait des relations commerciales avec la société chinoise Jiangsu Guotai Guosheng, qui pourrait avoir recours au travail forcé des Ouïghours.

« Il semble qu’une enquête soit nécessaire dans les circonstances », conclut ainsi Sherry Meyerhoffer. À plusieurs endroits dans le rapport, elle note le manque de collaboration de l’entreprise dans l’examen de la plainte.

Car même si celle-ci nie les allégations, elle n’a pas « fourni de détails quant à la nature et à la portée de son obligation de diligence raisonnable », notamment sur « l’utilisation éventuelle d’une technologie de traçabilité des fibres », reproche-t-elle.

Un enjeu complexe

Couper les ponts avec des fournisseurs chinois qui violent les droits de la personne n’est pas si simple, expose le professeur Ari Van Assche, spécialiste de l’économie de la Chine à HEC Montréal. « Ce n’est pas facile du tout », estime-t-il.

« On parle d’entreprises qui emploient un fournisseur, qui emploient un fournisseur, qui emploient un fournisseur. Souvent, les activités de travail forcé sont cachées ; c’est donc difficile de savoir si le coton vient de tel ou tel fournisseur », expose-t-il en entrevue.

Et l’OCRE, créé en 2019, ne dispose pas de pouvoirs pour discipliner les entreprises qui ferment les yeux, intentionnellement ou pas, sur ces pratiques – l’agence fédérale peut fermer le robinet de l’aide fédérale, mais elle ne peut pas imposer d’amendes.

On est loin des mesures musclées qui ont été mises en place aux États-Unis. Là, en vertu de la Loi sur la prévention du travail forcé des Ouïghours, les agents frontaliers peuvent bloquer les marchandises du Xinjiang issues du travail forcé.

« Il revient aux entreprises de démontrer qu’il n’y a pas de travail forcé. Autrement dit, elles sont coupables jusqu’à ce qu’elles prouvent leur innocence », résume le professeur Van Assche.

PHOTO PATRICK T. FALLON, ARCHIVES BLOOMBERG

Dans une réaction transmise par courriel, Levi Strauss & Co. assure avoir « clairement fait savoir à tous [ses] fournisseurs » qu’elle n’accepte « aucun matériau, y compris le coton, produit par du travail forcé ou géré par des entités impliquées dans le travail forcé ».

L’entreprise argue qu’il y a des « inexactitudes factuelles » dans le rapport rendu public mercredi par l’OCRE, mais elle signale qu’elle va « continuer à coopérer » avec l’agence fédérale.

Un « énorme mensonge », selon Pékin

Le régime chinois a maintes fois nié l’existence de camps de travail forcé dans le Xinjiang. « Énorme mensonge », « manipulation politique », « tentative de dénigrer la prospérité de la Chine », a ragé un porte-parole de l’ambassade de Chine à Ottawa en mai dernier.

Ne va pas au Xinjiang qui veut ; aussi l’enquête promet-elle d’être ardue, concède-t-on à l’OCRE. L’ombudsman sollicitera donc « l’aide d’enquêteurs spécialisés dans la recherche et l’analyse de données publiquement accessibles », indique-t-on dans le rapport.

« Nous saluons l’initiative de l’ombudsman, qui multiplie ses enquêtes depuis quelques semaines, après des années de mutisme », commente le député bloquiste Simon-Pierre Savard-Tremblay. Cela dit, sans « davantage de dents », l’OCRE ne pourra faire « pleinement aboutir ses enquêtes », ajoute-t-il.

Le Parti conservateur et le Nouveau Parti démocratique n’ont pas fourni de réaction à l’ouverture de cette enquête, pas plus que le bureau de la ministre du Commerce international, Mary Ng.