Les nouvelles sur Google vaudraient bien plus que ce que l’on croyait. Selon une étude suisse utilisant une méthodologie inédite, combinant statistiques, sondages et expérimentation, l’équivalent au Canada serait de 647 millions par année, soit quatre fois plus que les estimations précédentes.

Fin janvier 2023, la firme suisse FehrAdvice & Partners a mené une enquête d’un type inédit. On a d’abord, comme l’ont fait nombre d’autres études, analysé les données financières de Google et établi les statistiques sur la présence des médias dans les résultats de recherche. Mais on y a ajouté un volet expérimental en proposant à 1573 internautes un Google « modifié » dont on avait retiré, sans les prévenir, tout le contenu provenant des médias.

Une des conclusions de l’expérience, rapportée dans un document de 61 pages : 70 % des utilisateurs ont préféré la version originale affichant du contenu médiatique. Le taux de satisfaction a baissé de 16 % quand les nouvelles étaient exclues. À long terme, estime l’étude, 8 % des internautes quitteraient un Google sans nouvelles.

Pour Google, qui enregistre des ventes publicitaires annuelles de 1,5 milliard de dollars canadiens en Suisse, on estime que l’apport médiatique vaudrait 582 millions. Une « juste part » de 40 % versée aux médias suisses représenterait 233 millions.

Une « approche scientifique »

L’étude, reprise par le réputé site TechPolicyPress début août, a suscité un grand intérêt dans les pays où le débat de la compensation des médias par les grandes plateformes fait rage. « Nous avons reçu près de 70 requêtes d’organismes médiatiques intéressés à refaire l’exercice chez eux, notamment au Canada et aux États-Unis », explique au bout du fil Alexis Johann, directeur chez FehrAdvice et coauteur de l’étude. Bien que les résultats n’aient pas été publiés dans une revue scientifique révisée par les pairs, l’étude « est basée sur une approche scientifique » et a été supervisée par deux chercheurs universitaires, Stefano Brusoni et Ernst Fehr. Ce dernier, convient-il, est un partenaire fondateur de la firme FehrAdvice et siège à son conseil d’administration.

L’étude, par ailleurs, a été commandée par un regroupement d’éditeurs suisses, Schweizer Medien, « l’équivalent de Médias d’infos Canada », note Jean-Hugues Roy, professeur à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal.

L’étude a une prise contre elle.

Jean-Hugues Roy, professeur à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal

M. Johann le reconnaît, l’étude a été commandée par un organisme qui n’est de toute évidence pas neutre dans ce débat. « Ce n’est pas un secret, mais ce que nous avons fait est très transparent. Tout le monde peut voir les détails de l’expérience […], nous avons utilisé une approche basée sur les preuves. Google publie des données que personne ne peut vérifier, c’est une boîte noire. »

Loin des anciens calculs

Le professeur Roy accorde un mérite indéniable à l’étude : « Elle me paraît originale au sens où c’est la seule que j’ai vue, parmi toutes les études qui estiment la valeur des contenus journalistiques pour les plateformes, qui inclut un volet expérimental, avec des citoyens. Ce n’est pas seulement un sondage : on a mené une expérience avec des sujets. »

M. Roy est lui-même l’auteur d’une analyse canadienne qui a fait grand bruit en 2021. Selon ses estimations à l’époque, Facebook et Google auraient généré 280 millions en revenus publicitaires annuels grâce au contenu journalistique des médias canadiens.

M. Roy a refait ses calculs à la lumière de l’étude suisse. Il en arrive mathématiquement, si les paramètres restent les mêmes au Canada, à la somme de 647 millions que devrait Google chaque année aux médias canadiens.

« Ce qui est loin des 172 millions estimés par les fonctionnaires de Patrimoine pour le Search de Google, mais proche de la somme estimée par Médias d’info Canada il y a quelques années », rappelle-t-il. En 2020, ce collectif qui représente 90 % du lectorat des médias d’information au Canada estimait à 620 millions la somme que devraient verser aux médias Facebook et Google.

« Symbiose » plutôt qu’exploitation

Google n’a pas souhaité commenter l’étude de FehrAdvice. On a plutôt renvoyé au mémoire déposé par Google Canada à l’automne 2022 devant le Comité permanent du patrimoine canadien. Celui-ci estime que Google a contribué à plus de 3,6 milliards de visites sur des sites d’éditeurs de nouvelles canadiens, rapportant quelque 250 millions.

« Les nouvelles représentent une très petite fraction des recherches effectuées, peut-on lire. L’année dernière, les recherches portant sur les nouvelles ne représentaient qu’environ 2 % des recherches effectuées au Canada. »

Une étude publiée le 8 août dernier par l’organisme américain Disruptive Competition Project (DisCo), lié à l’industrie des communications et des technologies, a dénoncé les « nombreuses affirmations invérifiées » de l’étude de FehrAdvice. Celle-ci « montre une incompréhension du fonctionnement de l’écosystème numérique », plaide DisCo, qui voit plutôt la relation entre Google et les médias comme « symbiotique ».

Consultez l’étude de FehrAdvice & Partners (en anglais) Consultez l’étude de Disruptive Competition Project (DisCo) (en anglais)