Le projet en vaut-il le coût ?

En lisant la manchette de La Presse+ de samedi, j’ai avalé mon espresso de travers. Quoi, 36 milliards pour un REM de l’Est sous terre ? C’est énorme ! Ai-je bien lu ?

Pour en avoir le cœur net, je me suis procuré le rapport qui fait une telle recommandation, obtenu d’une bonne source (le rapport sera public ce mardi).

Ma nouvelle conclusion : 36 milliards pour un REM de l’Est sous terre, c’est énorme ! En comparaison, celui que la Caisse de dépôt et placement a abandonné pour ce secteur devait avoisiner les 10 milliards pour une distance semblable (32 km).

Malgré ce dur constat, le rapport permet d’apporter des nuances importantes. D’abord, il faut savoir que ce rapport n’a pas été fait par des quidams sur le coin d’une table. Le document de 111 pages a été produit par le groupe de travail du projet structurant de l’Est (PSE).

Il est approuvé et signé par de hauts dirigeants de l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), du ministère des Transports du Québec, de la Ville de Montréal et de la Société de transport de Montréal. On sent la politique derrière le rapport, mais il n’a pas été bâclé.

ILLUSTRATION TIRÉE DU RAPPORT DE L’ARTM

Le tracé du REM de l’Est

En lisant La Presse+, j’étais convaincu que les contestataires d’un REM aérien, notamment les résidants directement touchés par son éventuelle construction, avaient fait pencher la balance pour un REM souterrain, faisant ainsi exploser la facture.

Or, l’enfouissement de la structure qu’on prévoyait aérienne pour une partie du projet ne serait pas le grand responsable de la nouvelle facture, selon le rapport. De fait, il hausserait le coût global de seulement 6 %, ce qui apparaît raisonnable compte tenu des impacts visuels d’un projet aérien et de son acceptabilité sociale.

Depuis le début, le tronçon sud-nord entre le quartier Hochelaga-Maisonneuve et le cégep Marie-Victorin est prévu souterrain, pas le reste, notamment vers l’est.

Le rapport fait aussi valoir qu’une structure aérienne pose des défis considérables, notamment en raison des lignes de transport électrique de haute tension qui traversent la rue Sherbrooke Est et des deux ponts du CN à Pointe-aux-Trembles.

Afin de respecter les normes en vigueur, la structure aérienne devrait monter jusqu’à 25 mètres à Pointe-aux-Trembles, ce qui correspond à un immeuble de 8 étages, et serait donc 2 fois plus haute que les immeubles du secteur (4 étages).

Autre considération : le secteur où l’on prévoit enfouir de nouvelles stations est composé de sols argileux avec une couverture de roc suffisante et n’est donc pas problématique comme au centre-ville.

Pour ces raisons, entre autres, le groupe de travail a jugé que les économies ne justifiaient pas l’horrible impact visuel et urbain de la portion aérienne.

  • La rue Sherbrooke Est, depuis le boulevard du Tricentenaire

    PHOTO TIRÉE DU RAPPORT DE L’ARTM

    La rue Sherbrooke Est, depuis le boulevard du Tricentenaire

  • Le tracé proposé de la structure aérienne

    ILLUSTRATION TIRÉE DU RAPPORT DE L’ARTM

    Le tracé proposé de la structure aérienne

1/2
  •  
  •  

Autre nuance : un projet mené par une société publique doit présenter une série de coûts qu’une institution comme la Caisse de dépôt n’a pas à préciser.

Les deux paient la même chose, au bout du compte, mais les coûts rendus publics ne sont pas exactement comparables. C’est le cas des frais de financement, entre autres. L’écart pourrait désavantager un projet public de 20 %, possiblement.

À cela s’ajoute l’inflation dans la construction, bien sûr, qui a bondi depuis trois ans.

Cela dit, ce projet de 36 milliards et 21 stations représente une facture énorme en regard des avantages qu’il procurerait. Oui, l’est de Montréal et le nord-est ont besoin d’amour, oui, de nouveaux projets industriels et commerciaux y émergeraient et oui, une connexion avec Laval, au nord, et Charlemagne, à l’est, serait intéressante.

Mais ultimement, le nombre attendu de nouveaux passagers est somme toute peu élevé et justifie mal le projet comme recommandé.

Aux fins de l’exercice, ne conservons du projet que le tronçon nord-sud (Hochelaga–Marie-Victorin) et celui vers Pointe-aux-Trembles, dans l’Est, et excluons le prolongement vers Laval, vers Rivière-des-Prairies et vers Charlemagne.

Ce projet plus modeste d’une quinzaine de stations coûterait 24,3 milliards pour un tracé de 21,5 km, selon le rapport, au lieu des 34 km du projet complet de 36 milliards qui est recommandé.

Or voilà, dans ce réseau à 24,3 milliards circuleraient 19 300 passagers en pointe du matin en 2036. Il y circulerait donc 3 fois moins d’usagers le matin que l’actuel projet de REM de la Caisse de dépôt (63 000 en 2031), tout en coûtant 3 fois plus (le REM de la Caisse coûtera environ 8 milliards, essentiellement).

Ce n’est pas tout. Des 19 300 passagers en 2036, seulement 19 % seraient en fait de nouveaux usagers, soit 3700 personnes, selon le rapport. Les autres usagers seraient déjà des utilisateurs du réseau en place (autobus, métro, etc.).

Bien que cette attraction de 19 % de nouveaux usagers soit particulièrement élevée selon les standards internationaux, elle demeure faible en valeur absolue. Bref, le coût de revient par nouveau passager serait extrêmement imposant.

Le développement d’un réseau structurant dans l’Est pose des défis financiers considérables. Le milieu est déjà bâti et la densité d’habitation est relativement faible, ce qui se traduit par peu d’usagers.

Peut-être que l’achalandage explosera dans les prochaines années, comme l’exige le réchauffement climatique. M’est avis qu’on devrait attendre que l’achalandage postpandémique se redresse avant de penser à la possibilité de prendre une telle décision. Et qu’on juge du succès populaire – ou non – du REM de la Caisse.