Quand François Legault a lancé ce pavé dans la mare, à Bécancour, je me suis dit : tiens donc, un autre politicien qui veut gagner des votes avec des barrages d’Hydro-Québec.

Les plus vieux se rappelleront, par exemple, la déclaration de l’ex-chef du Parti libéral du Québec, Robert Bourassa, qui avait promis de créer 100 000 emplois en 1971 avec le grand chantier de la Baie-James.

Quelle mouche a piqué François Legault ? Selon ses propos, « il ne faut pas être comptable pour comprendre. Il va falloir construire un demi-Hydro-Québec dans les prochaines années » pour concrétiser les projets sur la table. Bref, il faut de nouveaux barrages, et vite, d’autant qu’ils prennent 15 ans à concevoir et construire.

Sans doute que le politicien a grossi les chiffres pour faire éclat, me suis-je dit. Qu’il a additionné tous les projets sans soustraire ceux qui ne se réaliseront jamais. Qu’il a minimisé l’économie d’énergie que les Québécois peuvent faire.

Actuellement, Hydro-Québec produit environ 200 térawattheures (TWh) par année et selon François Legault, la nouvelle demande des prochaines années atteindra 100 TWh, d’où le bond de 50 % dans la production. Ayoye !

Or en fouillant, je me suis rendu compte que cette prévision de 100 TWh ne vient pas seulement de l’équipe de communication du politicien. Elle est aussi estimée par trois organisations, soit l’Institut de l’énergie Trottier, la firme Dunsky et Hydro-Québec.

Leur constat est relativement simple. Quelque 46 % de l’énergie consommée au Québec vient de l’hydroélectricité, de l’éolien ou de la biomasse, et le reste est essentiellement de l’énergie fossile, utilisée surtout dans le transport.

Or, pour atteindre l’objectif de carboneutralité en 2050 – et donc combler l’essentiel des 54 % restants –, il faudra multiplier les projets énergétiques verts au cours des prochaines années.

« Et c’est le cas même en déployant toutes les solutions les moins coûteuses, comme l’économie d’énergie », me dit Normand Mousseau, directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier, dont les prévisions tiennent compte de la croissance économique et de la population, entre autres.

La firme Dunsky, de son côté, arrive même à 137 TWh en 2050, soit un bond de 65 % plutôt que de 50 %.

Bref, nul doute qu’il faut se retrousser les manches. Les besoins totaux pourraient même dépasser 100 TWh en ajoutant les nouveaux projets actuellement dans les cartons du ministre Pierre Fitzgibbon, notamment ceux de la filière des batteries électriques⁠1.

Bien sûr, Hydro-Québec ne reste pas les bras croisés. Actuellement, la société d’État a plusieurs projets sur la table qui lui permettront d’engraisser son énergie disponible.

D’abord, il y a les mesures d’efficacité énergétique, grâce auxquelles elle prévoit dégager 8 TWh d’énergie d’ici 10 ans. S’y ajoutent environ 11 TWh avec la réfection de vieilles centrales.

À ce volume, il faut ajouter les appels d’offres d’Hydro-Québec qui sont en cours ou annoncés, et dont l’énergie éolienne ou d’autres sources avoisinera les 15 TWh au total. De plus, il faut compter la demande faite par François Legault à Bécancour, mardi, pour un nouveau volume d’éolien, qui devrait atteindre environ 8 TWh.

Bref, avant de parler de nouveaux grands barrages, Hydro devrait être en mesure de gonfler son bloc d’énergie d’environ 42 TWh sur les 100 TWh exigés.

Malgré tout, le volume restant de 58 TWh demeure énorme. Pour vous donner une idée, les centrales hydroélectriques nouvellement mises en service depuis 20 ans (Eastmain, Péribonka, la Romaine, etc.) totalisent 24 TWh.

Il faudra donc dénicher 2 à 3 fois plus de nouvelles sources d’ici 25 ans qu’on en a trouvé depuis 20 ans avec les barrages. Et c’est en espérant que le géant contrat pour Churchill Falls (32 TWh), qui vient à échéance en 2041, soit renouvelé sans trop de problèmes.

Mais faut-il pour autant construire de nouveaux barrages ? Le problème avec les barrages, c’est que de nouvelles centrales seraient de plus en plus éloignées et donc plus coûteuses. C’est sans compter qu’il faudrait s’entendre avec les Autochtones dans un contexte où la constitution d’immenses réservoirs est bien moins acceptée et faisable de nos jours.

En parallèle, les nouvelles sources d’énergie renouvelable coûtent de moins en moins cher, quoique les bons sites éoliens vont finir par se tarir. Et soyons-en conscients : le Québec compte environ 2000 éoliennes actuellement, chiffre qu’il faudrait multiplier par 3 ou 4 probablement, selon leur efficacité, pour atteindre les nouveaux besoins. Imaginez l’impact sur le paysage !

Selon l’expert Pierre-Olivier Pineau, de HEC Montréal, la construction de nouveaux barrages est une avenue coûteuse et compliquée à court terme, et il est donc préférable d’opter pour l’éolien. D’autant plus que nos actuels réservoirs hydro-électriques peuvent servir de batteries, en quelque sorte, pour emmagasiner l’équivalent de l’énergie excédentaire produite par les éoliennes pendant l’été ou durant les nuits, alors que la demande est faible.

Dit autrement, ressusciter des projets de barrage comme Grande-Baleine, dans le Grand Nord, est probablement l’option la moins intéressante pour l’instant, quoi qu’en dise François Legault.

Chose certaine, cependant, ces grands besoins énergétiques, de plus en plus coûteux, arriveront avec une facture. Impossible d’atteindre la carboneutralité en pensant que les tarifs resteront stables ou très bas, comme le promettent bien des politiciens.

Et de toute façon, des tarifs plus élevés inciteraient les utilisateurs à économiser davantage leur énergie, contribuant à cette grande ambition nationale.

1. Précisons que les contrats avec New York (10,4 TWh) et le Massachusetts-NECEC (9,45 TWh) sont déjà pris en compte dans la production d’Hydro-Québec et donc exclus des besoins additionnels de 100 TWh d’ici 2050.