Après sa conférence, le sous-gouverneur de la Banque du Canada, Toni Gravelle, s’est fait poser « la question qui tue », si je puis dire. Et, fait intéressant, elle lui a été adressée par un autre dirigeant de banque centrale, venu des États-Unis.

Toni Gravelle venait de comparer le contexte inflationniste d’aujourd’hui à celui des années 1970, différent à plusieurs égards. Il expliquait ses vues aux congressistes de l’Association des économistes québécois (ASDEQ), réunis au Palais des congrès de Montréal.

L’économie des années 1970, a expliqué M. Gravelle, a été marquée par la stagflation, soit « une période où il y a en même temps une forte inflation, un haut taux de chômage et une croissance très faible ou nulle. Présentement, on ne voit pas les aspects stagnants de la stagflation, bien au contraire ».

Selon ce membre du conseil de direction de la Banque du Canada, l’économie canadienne tourne à plein régime, ce qui justifie que la Banque hausse le taux d’intérêt directeur. L’économie canadienne croît au rythme annuel de 5 % durant la première moitié de 2022, estime la Banque, ce qui suit une croissance trimestrielle annualisée de 6 % durant les six derniers mois de 2021.

« La dernière fois qu’on a vu ça, c’était pendant une période de 12 mois qui s’est terminée à la mi-2000, il y a 22 ans. C’était aussi la dernière fois qu’on avait relevé notre taux directeur de 50 points de base », a-t-il dit.

En clair, oubliez la décennie 1975-1985, a-t-il fait comprendre à l’auditoire, avec son taux d’inflation à 12 %, son taux de chômage à 13 % et son taux hypothécaire de 5 ans qui a dépassé les 20 % en 1981⁠1.

Et la « question qui tue », comme dirait Guy A. Lepage ? Soyez patient, elle s’en vient.

Toni Gravelle juge que la Banque du Canada est en mesure d’orchestrer un atterrissage en douceur de l’économie, c’est-à-dire de la ralentir sans provoquer de récession. Ce scénario, souhaité par tous les économistes, ne serait pas accompagné de haut taux de chômage, en raison de l’actuelle pénurie de main-d’œuvre.

Pour y parvenir, les hausses du taux d’intérêt directeur de la Banque, combinées au dégonflement pondéré de son bilan, doivent permettre de freiner suffisamment la demande pour juguler l’inflation. Le tout serait possible malgré les pressions inflationnistes venant des problèmes d’approvisionnement mondiaux et de la guerre, notamment.

Le taux d’inflation, de 6 % actuellement, descendra autour de 2,5 % dans la seconde moitié de 2023 et retournera à la cible de 2 % en 2024, estime la Banque. Alléluia, nous serons sauvés !

Des travailleurs moins gourmands ?

Point clé du scénario, Toni Gravelle croit que les travailleurs seront moins gourmands que dans les années 1970 dans leurs demandes salariales, ce qui aidera à faire chuter l’inflation.

« La dynamique des salaires a changé depuis les années 1970, où la persistance de l’inflation élevée jouait un plus grand rôle dans la négociation des salaires », a-t-il dit.

À preuve, explique-t-il, la durée moyenne des conventions collectives a doublé au Canada entre 1980 et 2021, passant de 18-20 mois à 42 mois.

« Les travailleurs syndiqués sentent moins fréquemment le besoin de revoir leur convention collective pour suivre les hausses de prix que dans les années 1970 ou au début des années 1980 », a dit M. Gravelle.

Le sous-gouverneur a lu mot pour mot sa présentation écrite, comme l’exige la tradition de la Banque, afin d’éviter que les marchés n’interprètent erronément le message.

Bref, l’inquiétante hausse des prix finira par s’essouffler, la cible d’inflation de 2 % est à l’horizon et l’économie retombera sur ses pattes.

La question qui tue, dans ce contexte, a été posée par un autre dirigeant de banque centrale, soit Sylvain Leduc, un Québécois devenu vice-président principal de la Réserve fédérale de San Francisco.

« Tu as mentionné que la situation est différente de celle des années 1970, que le marché du travail avait beaucoup changé. En même temps, les travailleurs ont beaucoup plus de pouvoirs aujourd’hui étant donné que le marché du travail est tendu. L’inflation anticipée des ménages est assez élevée aussi à court terme. Est-ce que tu vois un risque que ça pourrait se traduire par des augmentations salariales qui sont beaucoup plus élevées et peuvent être un risque à la hausse à l’inflation ? »

Réponse de Toni Gravelle : « On ne voit pas ça au Canada comme c’est là. Les augmentations salariales viennent juste de reprendre au niveau d’avant la pandémie. Et aussi, la répartition des syndicats est un peu moindre que dans les années 1970. Ce n’est pas le cas dans le moment. » M. Gravelle a aussi précisé que c’est l’un des risques qui expliquent que la Banque veuille augmenter « si vite » le taux directeur vers le taux jugé neutre pour l’économie.

Il n’y a pas à dire, la situation économique est complexe et délicate…

Écoutez ou lisez la conférence du sous-gouverneur Toni Gravelle

1. Sa présentation incluait un graphique du taux d’inflation et du taux de chômage depuis les années 1970. Le taux d’intérêt hypothécaire n’a pas été spécifiquement mentionné.