Règle générale, les vieux pays industrialisés, déjà riches, voient leur niveau de vie croître bien plus lentement que les autres, et inversement.

En soi, ce n’est guère surprenant. Des pays en développement comme l’Estonie accroissent leur niveau de vie bien davantage que d’autres comme l’Autriche. Ils rattrapent les riches au fur et à mesure de la mise à niveau de leurs travailleurs aux pratiques modernes, avec les investissements pour y parvenir.

Le hic, c’est que le Canada et le Québec, depuis plusieurs années, traînent la patte par rapport aux autres pays riches auxquels ils se comparent. Et qu’au rythme où vont les choses, cette tendance ne faiblira pas d’ici 40 ans, au contraire.

Une récente étude de l’OCDE place le Canada au 26rang sur 38 pour la croissance de son PIB par habitant depuis 2007. Pire : le Canada tombera au 38e et dernier rang d’ici 2030 et conservera ce dernier rang dans les 30 années suivantes. Dit autrement, le Canada s’appauvrira par rapport aux autres pays comme le Danemark, la Corée du Sud, les États-Unis, etc. Ouch !

Consultez l’étude (en anglais)

L’écart annuel n’est pas toujours très grand. Dans les pays semblables au Canada, comme l’Autriche ou la Norvège, le niveau de vie devrait croître de 0,8 % par année d’ici 2030, contre 0,7 % pour le Canada, selon l’étude de l’OCDE. Il s’explique essentiellement par la faible croissance de l’une des principales composantes du niveau de vie : la productivité du travail⁠1.

Petit à petit, cet écart gruge notre économie et donc notre capacité à financer nos services publics, comme la santé et l’éducation. Surtout, cet écart est très grand avec notre principal concurrent : les États-Unis.

Justement, Statistique Canada a dressé un portrait de la productivité Canada–États-Unis, le 4 mars. Le constat est frappant.

En combinant les années 2020 et 2021, question d’éviter les montagnes russes de la pandémie, on constate qu’au Canada, la productivité du travail dans les entreprises a crû de 0,3 % par année, en moyenne. En comparaison, aux États-Unis, la productivité a grimpé de 1,9 % par année !

Vous me direz que les Américains ont fermé les yeux sur les malades de la COVID-19, contrairement au Canada. Fort bien. Sauf qu’au cours des trois années ayant précédé la pandémie, la productivité y a grimpé de 1,5 % par année, en moyenne, contre 1 % au Canada.

Consultez les données de Statistique Canada

Pourquoi le Canada et le Québec traînent-ils la patte ? Depuis plusieurs années, la principale raison invoquée est le niveau trop bas des investissements des entreprises.

Le niveau de vie a fait certains gains malgré la productivité anémique de nos entreprises, notamment au Québec, mais c’est grâce à l’accroissement massif du travail des femmes, aidées par les garderies à contribution réduite.

Chrystia Freeland tente d’appliquer la même politique familiale au reste du Canada, mais au Québec, les futurs gains sont maintenant limités, puisque nous avons presque atteint le maximum à cet égard.

Dans son étude, l’OCDE soutient que le vieillissement de la population aura des effets majeurs sur la faible croissance du niveau de vie. Et le rapport soutient qu’une augmentation de l’âge normal de la retraite (typiquement 65 ans) permettrait d’amoindrir ses impacts.

Pénurie de main-d’œuvre

Les politiques publiques de nos élus ont aussi des effets sur la productivité et le niveau de vie à long terme. Et au Québec, la question de la productivité est d’autant plus cruciale que l’économie fait face à une pénurie de main-d’œuvre grave.

Dans une étude parue la semaine dernière, le Centre sur la productivité et la prospérité (CPP), de HEC Montréal, soutient que cette pénurie ne se réglera pas avec des politiques de formation et de requalification des travailleurs. Pour le CPP, il faut plutôt augmenter la productivité des organisations et réduire leur fardeau fiscal.

Non seulement la productivité permettrait de produire davantage avec moins d’employés, notamment grâce à de meilleurs équipements, mais elle permettrait aux entreprises de dégager davantage de profits, qu’elles pourraient utiliser pour hausser les salaires et attirer du personnel, soutient le CPP.

Le problème, c’est que ces gains de productivité ont été déficients ces dernières années et il n’est pas possible d’en tirer des fruits à court terme.

Pour aider les entreprises à financer des hausses de rémunération pour attirer des travailleurs, en plus d’accroître leurs investissements, le CPP suggère donc d’abolir la cotisation obligatoire au Fonds des services de santé. Cette taxe sur la masse salariale, la plus élevée au Canada, coûte quelque 4 milliards par année aux entreprises⁠2.

Consultez l'étude

Autre suggestion pour endiguer la pénurie de main-d’œuvre, et donc augmenter notre niveau de vie : mettre fin progressivement aux subventions sur les salaires des employés dans les entreprises.

Ces subventions, versées notamment au secteur informatique et des jeux vidéo, ont pour effet de stimuler la demande d’employés pour ces secteurs et d’accentuer la pénurie. En 2020, Québec a versé 2,1 milliards de dollars en crédit d’impôt visant les salaires, selon le CPP.

Cette politique pouvait être sensée il y a 25 ans, quand Bernard Landry l’a lancée, mais aujourd’hui, elle nuit davantage qu’elle n’aide.

1. Le niveau de vie est mesuré par le produit intérieur brut (PIB) par habitant, tandis que la productivité du travail correspond plutôt au PIB par heure travaillée. Les deux sont semblables, puisqu’il suffit de connaître l’effort de travail des habitants (taux d’heures travaillées par habitant) pour déduire le niveau de vie à partir de la productivité.

2. En 2015, le CPP a fait une recension de plusieurs études selon lesquelles ces ponctions sur la masse salariale ont pour effet de réduire les hausses de salaire significativement.

Voyez la recension d’études du CPP