Le plaisir de manger n’a pas d’âge. Les résidences privées pour retraités qui l’ont compris se donnent des airs d’hôtels de luxe avec leurs repas raffinés servis dans une ambiance chaleureuse. Si la qualité des menus est digne des bons restaurants, l’addition peut toutefois faire sourciller.

La mère de Line, qui a 85 ans, adore sa résidence, où elle lit tranquillement une bonne partie de la journée. Elle ne sort pratiquement jamais de son appartement, sauf pour aller au restaurant du rez-de-chaussée. Quotidiennement.

Elle tient mordicus à cette petite sortie qui lui permet de bouger, de socialiser aussi. Cette nourriture de l’âme est presque aussi importante que celle dans son assiette. Dans son bol, devrais-je dire. Car la dame n’est jamais très affamée, si bien qu’elle se contente d’une soupe, avec un petit pain et deux carrés de beurre. Tous les soirs. Depuis des années.

Le hic ? On lui facture la table d’hôte au grand complet.

Coût en 2021 : 18,50 $, pour un total de 555 $ par mois… de 30 soupes. Cette année, le prix du menu est passé à 19,73 $. Mensuellement, la facture atteindra donc 592 $. Soit plus de 7200 $ pour ses 365 soupes. « C’est un bon revenu pour la résidence, ça ! », ironise Line.

Sa résidence se targue d’avoir un chef, une brigade et un menu dignes des restaurants, mais quand vient le temps de payer, les règles des restaurants ne s’appliquent plus. Même si vous commandez uniquement l’entrée, vous devez payer le prix de la table d’hôte.

Line a tenté à quelques reprises de négocier un arrangement avec le propriétaire, Groupe Maurice, sans succès, me raconte-t-elle. « Le manque de souplesse de la direction à l’égard de la facturation cause un préjudice à ma mère alors qu’elle pourrait utiliser l’argent “donné” à la cuisine pour avoir des services d’appoint à domicile. »

Les 33 résidences du Groupe Maurice fonctionnent toutes ainsi. Les restaurants n’y vendent pas d’aliments à la carte, car « ce n’est pas leur vocation » et que cela « facilite énormément la gestion », explique la porte-parole, Sarah Ouellette. Les résidants ont toutefois accès à un dépanneur qui vend des sandwichs et du prêt-à-manger à emporter.

Dans l’industrie des résidences privées pour aînés (RPA), cette façon d’organiser les repas est très répandue. Cela permet de simplifier la logistique, d’éviter la gestion de multiples factures différentes et de réduire le gaspillage alimentaire en assurant une meilleure prévisibilité, font-elles valoir. Les restaurateurs, pourtant, arrivent à composer avec la liberté totale dont jouissent leurs clients...

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Règle générale, les résidants peuvent ajouter le prix des repas directement à leur bail. Des programmes mensuels comprenant un, deux ou trois repas sont offerts. Des carnets de coupons échangeables contre des tables d’hôte sont également vendus.

Selon Logis Retraite, une plateforme qui accompagne les aînés à la recherche d’une résidence, le prix moyen d’un programme comprenant un repas par jour est d’environ 380 $ par mois. À la pièce, les prix varient de 13,50 $ à 19,25 $ en fonction de la qualité, du type de résidence et de son emplacement géographique, explique son directeur général, Alexandre Gagnon.

L’avantage du programme mensuel inclus dans le loyer est double : non seulement les repas ne sont pas taxables, mais ils donnent aussi droit au crédit d’impôt provincial pour le maintien à domicile des aînés. Ce n’est pas le cas pour les livrets de coupons.

L’important, lorsqu’on cherche la RPA de ses rêves, est de bien établir ses besoins et préférences alimentaires, de poser beaucoup de questions et de prendre des notes. Car malheureusement, les sites ne précisent à peu près rien. Les types de formules offerts, les prix, les menus, rien de tout ça n’est précisé, ce qui complique le travail de comparaison.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE SÉLECTION RETRAITE

Résidence de Sélection Retraite située à Mont-Royal

De plus, il n’y a pas nécessairement d’uniformité au sein des propriétés d’un même propriétaire. Du côté de Sélection Retraite, qui possède 45 complexes, un repas par jour est prévu dans la grande majorité des baux, indique le porte-parole Claude-André Mayrand. Mais d’autres formules existent. Et « quelques-unes » des RPA du groupe permettent de commander des articles à la carte.

Les aînés qui magasinent un nouveau toit posent beaucoup de questions sur les repas, raconte Geneviève Farmer, directrice de l’expérience client chez Bonjour Résidences, une autre plateforme de recherche de logis. Mais il est très hasardeux de vouloir généraliser, insiste-t-elle. Chaque RPA fait ses propres règles. Dans certains cas, les programmes de repas sont obligatoires puisque les résidants n’ont pas de cuisine. « Dans une résidence de 10 chambres, ce n’est pas pareil comme dans une autre de 150 logements. »

La bonne nouvelle, selon Bonjour Résidences, c’est que les RPA se montrent particulièrement flexibles ces temps-ci. Elles veulent réduire leur taux d’inoccupation, car « le tiers ou le quart des unités sont libres ». Depuis le début de la pandémie, de nombreux aînés ont retardé leur déménagement, soit par crainte d’y contracter la COVID-19, soit parce que le menu récréatif est loin de celui présenté dans les publicités.

Cette histoire de facture de soupe qui atteint 7200 $ par année est peut-être un cas extrême, mais elle démontre l’importance de bien magasiner sa résidence en fonction de ses besoins et de ses habitudes. Elle illustre aussi les limites désagréables de l’approche uniformisée par souci d’efficacité.

Consultez le document « Les grandes lignes du crédit d’impôt pour le maintien à domicile des aînés »