Tant que les contestations restent dans la rue, les choses changent peu. Mais quand ces appels des manifestants finissent par secouer le monde de la finance, c’est qu’enfin, il y a de l’espoir.

Après la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui se retire du pétrole, voilà qu’une vingtaine de grandes institutions financières du Québec mettent la main à la pâte, cette semaine. Ils signent une déclaration commune pour une finance durable, qui rend l’environnement incontournable dans leurs décisions d’affaires. Alléluia !

Ces grands de la finance gèrent ensemble 900 milliards de dollars d’actifs. Parmi eux se trouvent le Mouvement Desjardins, la Banque Nationale, le Fonds FTQ, iA Groupe financier, Montrusco Bolton, Power Corporation, Fiera Capital et, bien sûr, la Caisse de dépôt.

En signant cette déclaration, ils s’engagent à mettre en place des mesures concrètes pour répondre à l’urgence climatique et pour renforcer les principes ESG dans leurs actions (environnementaux, sociaux et de gouvernance). La déclaration survient à l’approche de la 26e Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP26).

« Il y a urgence climatique. Par nos actions concertées, nous devons accélérer la transition vers une économie plus sobre en carbone », fait valoir le président du Mouvement Desjardins, Guy Cormier, dans le communiqué commun.

Même appel du patron désigné de la Banque Nationale, Laurent Ferreira. « Le secteur financier a un rôle important à jouer face au changement climatique et aux enjeux sociaux. »

L’environnement, la pauvreté ou encore l’exclusion sociale sont autant d’éléments qui préoccupent nos clients et nos employés, et pour lesquels nous ferons encore mieux.

Laurent Ferreira, chef de l’exploitation de la Banque Nationale

Oui, mais comment, concrètement, ces financiers feront-ils changer les choses ?

D’abord, on a vu la Caisse de dépôt la semaine dernière annoncer son retrait du pétrole d’ici fin 2022. L’institution a aussi l’intention de faire passer de 36 milliards à 54 milliards ses investissements dans les entreprises vertes d’ici 2025, en plus de réserver 10 milliards pour aider les pollueurs à faire la transition.

Desjardins, de son côté, veut faire passer de 24 % à 35 % la part du total de ses financements consacrés aux énergies renouvelables d’ici 2025. Elle veut aussi soutenir cinq projets de biométhaniseurs pour aider le secteur agricole à réduire ses gaz à effet de serre.

En signant la déclaration, les financiers s’engagent notamment à développer une expertise locale et des produits locaux en finance durable et à promouvoir une plus grande transparence en la matière. Par exemple, la Banque Nationale s’assurera de faire gérer localement au moins 5 milliards de fonds en finance durable d’ici 2025. Les engagements des signataires feront l’objet de suivis périodiques.

Trop de GES, pas de prêts ?

Question délicate, mais essentielle : l’environnement primera-t-il les profits ? Les financiers refuseront-ils de prêter des fonds aux entreprises délinquantes ?

Chez Desjardins, on resserre l’étau progressivement des grandes entreprises vers les moyennes, m’explique Pauline D’Amboise, vice-présidente gouvernance et développement durable chez Desjardins.

« Est-ce que l’entreprise a intégré le risque climatique ? S’est-elle dotée d’une cible de réduction de GES ? Si les compagnies ne répondent pas à ces critères à notre satisfaction, oui, on peut être appelés à refuser des financements et on l’a déjà fait. On a mis de côté certaines occasions d’affaires parce que ça ne répondait pas à nos critères ESG », explique-t-elle.

À la Banque Nationale, le vice-président communications et responsabilité sociale, Claude Breton, parle plutôt d’accompagnement. « Ça nous amène à poser des questions à des agriculteurs, à des clients des sables bitumineux, du genre : “As-tu un plan ? Que vas-tu changer ?” Les clients sentent qu’on pose des questions plus pointues sur leurs pratiques », me dit-il.

Desjardins, la Banque Nationale et d’autres institutions ont des engagements très concrets concernant l’empreinte carbone de leurs activités internes, mais aussi celle de leurs clients, dont l’estimation répond aux critères internationaux les plus sévères.

Chez Desjardins, les activités internes produisent 46 000 tonnes de GES par année, qu’elle compense entièrement (la facture annuelle est de 700 000 $). Et selon les premières estimations, les clients de Desjardins en produisent environ 3 millions de tonnes par an, dit Mme D’Amboise, dont les émissions indirectes (scope 3). Le mouvement coopératif s’est engagé à ce que ses activités internes et celles de ses clients soient carboneutres en 2040.

De son côté, la Banque Nationale n’émet que 8447 tonnes de GES par année avec ses activités internes, une baisse de 37 % depuis quatre ans. Elle calcule qu’elle est la moins émettrice des grandes institutions financières au Canada (par dollar de revenus, par employé ou par mètre carré). Elle compte retrancher 25 % de plus à ces taux d’ici 2025.

L’institution saura combien ses clients émettent de GES en 2022, et son objectif est que ses activités internes et le portefeuille de ses clients soient carboneutres en 2050.

Selon Claude Breton, de la Banque Nationale, le changement chez les financiers est manifeste depuis cinq ans. « L’adage “L’argent n’a pas d’odeur” est bel et bien mort. L’argent a maintenant une odeur. Oui, les choses vont changer. Elles changent déjà. On a passé le point de bascule », me dit-il.

N’est-ce pas encourageant ?