(Québec) Les abattoirs comme Olymel continueront de payer les bêtes sous le prix du marché pour les deux prochaines années. Ils paient 4,5 % de moins la première année, soit un rabais estimé de 12,50 $ par tête. En contrepartie, les éleveurs de porcs obtiennent un partage des profits éventuels réalisés par les transformateurs.

Si l’ensemble des éleveurs font des pertes à cause de la vente au rabais de leurs porcs, ils seront dédommagés par le programme d’assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA), financé aux deux tiers par les contribuables québécois. L’an dernier, le programme a versé pas moins de 240 millions de dollars aux éleveurs.

Quatre jours après l’annonce de la fermeture de l’usine d’Olymel à Vallée-Jonction, les éleveurs et les transformateurs ont dévoilé, mardi, la conclusion d’une convention de mise en marché du porc, une première entente négociée depuis plusieurs années.

« La convention qu’on annonce aujourd’hui est à l’image d’un secteur en crise où tous doivent faire des concessions. Ce sera notamment un dur coup financier pour les éleveurs et les éleveuses », a déclaré le président des Éleveurs de porcs du Québec, David Duval.

« Comparativement à la moyenne des 10 dernières années sur le prix du marché, ça représente à peu près un escompte de 12,50 $ du cochon. […] En pourcentage, ça représente à peu près 4,5 % de moins que le prix du marché », a expliqué M. Duval.

Calculé à partir du prix américain

La formule de prix a été calculée en fonction d’un barème fixé par le département de l’Agriculture des États-Unis, appelé « cut-out » dans le jargon de l’industrie. Le porc étant un produit, son prix varie énormément, notamment en fonction des fluctuations à la Bourse de Chicago. Chose certaine, à court terme, les producteurs recevront moins pour leurs bêtes.

« Le prix payé aux producteurs sera de 85 % de la valeur de la carcasse reconstituée américaine ou “cut-out” pour les familiers. Le pourcentage sera en augmentation jusqu’au 23 avril 2025, où il atteindra 88 % », a expliqué M. Duval.

Au cours des 10 dernières années, les éleveurs de porcs ont été payés en moyenne à 89,5 % du prix du “cut-out” américain.

C’est une concession majeure des éleveurs pour les acheteurs.

David Duval, président des Éleveurs de porcs du Québec

En contrepartie, les transformateurs s’engagent à cesser l’abattage des porcs de l’Ontario et à partager d’éventuels profits « 50 %-50 % ».

« Ce sont des gains majeurs, et le précédent qu’on a créé aujourd’hui, on ne le perdra pas », ajoute M. Duval.

Ce dernier n’envisage cependant pas un partage des profits en 2023. « Je dirais que ça va être une année de restructuration. »

« Rééquilibrer la filière »

Fermeture du marché chinois, pandémie de COVID-19, pénurie de main-d’œuvre, conflit de travail dans une usine d’abattage : depuis quelques années, l’industrie porcine est secouée par une crise sans précédent. Pour y faire face, la production annuelle sera réduite d’environ 1,1 million de porcs.

Vendredi, le transformateur de viande Olymel – qui abat 80 % des porcs dans la province – a annoncé la fermeture de son usine d’abattage de porcs de Vallée-Jonction, en Beauce. Près de 1000 travailleurs sont touchés par la décision.

« Au cours des 15 derniers mois, nos équipes ont travaillé sans relâche pour aboutir à la signature d’une convention qui viendra, nous l’espérons tous, rééquilibrer une filière québécoise du porc dont tous les membres ont été frappés, à des degrés divers, par les pires turbulences qu’a eu à subir cette industrie dans sa riche histoire », a déclaré le président-directeur d’Olymel, Yannick Gervais, lors du point de presse.

Olymel, qui appartient majoritairement à la coopérative Sollio, a dû réduire sa capacité d’abattage en raison de la conjoncture défavorable dans le marché du porc, notamment sur les marchés d’exportation.

« Au cœur de l’entente, on retrouve un principe novateur, un principe nouveau du partage des risques et des bénéfices au niveau de la filière. Donc, ça devrait limiter les déséquilibres qui sont survenus dans le passé et qui vont faire éviter de faire porter sur les épaules de l’un ou l’autre des joueurs de la filière », a-t-il ajouté.

En Beauce, élus locaux et éleveurs aimeraient trouver un nouvel opérateur pour les installations de Vallée-Jonction. Olymel serait-il prêt à céder ses installations à un acheteur ? « On reste à l’écoute, on ne ferme la porte à rien », a répondu M. Gervais.

Dans ses usines de Vallée-Jonction, Yamachiche, L’Ange-Gardien et Saint-Esprit, le transformateur abat en ce moment de 100 000 à 105 000 têtes par semaine. L’objectif à partir de janvier 2024 sera d’abattre 80 000 porcs par semaine.

« Des bons éléments », dit le ministre Lamontagne

Le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, André Lamontagne, a rencontré l’ensemble des acteurs de la filière porcine mardi matin pour se faire présenter les détails de l’entente.

« Cette convention-là sème vraiment les bonnes graines, si on veut parler agriculture. Elle a suscité un niveau d’adhésion, de concertation et de collaboration qui, à ma connaissance, n’a pas existé dans le passé. Le fait de travailler ensemble et d’être bien conscient de la réalité de l’autre, c’est certainement des bons éléments pour résoudre des situations difficiles », a affirmé le ministre à sa sortie de la réunion qui a eu lieu à son bureau.

La fermeture prochaine s’inscrit « dans tout ce plan de restructuration » de l’industrie du porc, selon André Lamontagne, qui rappelle que le gouvernement viendra en aide aux 1000 travailleurs d’Olymel touchés.

Selon M. Lamontagne, cette convention « a le potentiel de jeter les assises pour, un, la pérennité de la filière au Québec et, après ça, sa prospérité ». C’est le deuxième secteur agricole en importance au Québec.

Aide financière aux éleveurs ?

Selon le premier ministre François Legault, il est nécessaire d’apporter « un ajustement à la baisse de la production » puisque l’industrie est frappée par une réduction importante des exportations. Mais « je peux comprendre les producteurs, et André Lamontagne le reconnaît, on ne peut pas du jour au lendemain dire : “on ne prend plus vos porcs à l’abattoir”. Il faut qu’il y ait une période de transition, qu’il y ait une aide financière. On est en train de le faire », a-t-il ajouté lors d’un point de presse.

Le premier ministre n’a précisé ni la valeur ni la forme de cette aide financière à venir. Il a parlé un peu plus tard en Chambre d’un « programme de transition pour aider les producteurs de porc à passer à travers cette période-là ».

Le chef libéral intérimaire, Marc Tanguay, l’a accusé de n’avoir aucun plan afin d’appuyer l’industrie porcine à moyen et à long terme en vue, par exemple, d’ouvrir de nouveaux marchés.