La partie entre le fisc canadien et Jonathan Duhamel est terminée. L’Agence du revenu du Canada (ARC) ne portera pas en appel une décision qui concluait que le champion de poker n’avait pas à payer d’impôts sur ses gains — ce qui n’étonne pas un spécialiste du droit fiscal.

Même si l’agence gouvernementale fédérale avait jusqu’au 21 septembre pour se décider, l’avocat de M. Duhamel dit avoir déjà obtenu la confirmation, de la part de l’agence fédérale, que la page était tournée.

L’ARC n’a pas expliqué pourquoi elle avait pris cette décision. Dans un courriel envoyé à La Presse, elle s’est limitée à dire qu’elle ne faisait « pas de commentaires sur les détails précis des affaires judiciaires ».

« En droit, si l’on arrive à la conclusion que les gains sont le fruit du hasard, on ne va pas imposer le hasard, affirme le professeur de droit fiscal à l’Université Laval, André Lareau. Ce n’est pas très surprenant [la décision de l’Agence], même si cela peut paraître frustrant pour certains. »

Le 21 juin dernier, la Cour canadienne de l’impôt avait débouté l’ARC en concluant que M. Duhamel n’avait pas à inclure ses gains nets générés au poker dans le calcul de son revenu. Il n’a donc pas à payer d’impôts sur ses gains.

Ce litige fiscal émanait d’une réclamation de l’Agence, qui chiffrait à 1,2 million les impôts impayés par M. Duhamel de 2010 à 2012. Ce dernier était devenu une vedette mondiale du jeu en 2010 à la suite de sa victoire aux Séries mondiales de poker. Il avait empoché 8,9 millions US, soit environ 11,5 millions CAD.

Le hasard au cœur de tout

Les jeux de hasard ne sont pas imposés au Canada, contrairement aux États-Unis. M. Duhamel faisait valoir que l’argent empoché grâce au jeu n’avait pas à être inclus dans le calcul de son revenu. Dans sa décision, la Cour avait conclu que le champion de poker avait prouvé que sa capacité à produire des gains était « imprévisible et instable ».

La juge Dominique Lafleur concluait que le « hasard » était un « élément très important » dans les résultats au jeu de poker.

« Les activités de jeu de poker de M. Duhamel ne démontrent pas une capacité de générer des profits, […] la probabilité de ruine […] est bien supérieure à 50 %, M. Duhamel n’agit pas comme un homme d’affaires sérieux dans le cadre de ses activités de jeu de poker [et il] n’a mis au point aucun système de gestion ou d’atténuation des risques dans le cadre de ses activités de jeu de poker », estimait la juge.

Abstraction faite du tournoi principal des Séries mondiales de poker en 2010 et de la Fondation One Drop en 2015, il a enregistré des pertes supérieures à 1 million de 2010 à 2018.

Si M. Duhamel avait perdu, ses gains auraient été imposables, mais dans ce cas, les pertes deviennent donc déductibles. Le nombre de joueurs de poker qui réalisent des gains est bien inférieur à ceux qui perdent.

André Lareau, professeur de droit fiscal à l’Université Laval

Une victoire du fisc contre M. Duhamel aurait pu compliquer la tâche de l’agence publique à plus long terme, estime le professeur. Il croit que la tournure actuelle des évènements « fait l’affaire » de l’ARC.

« Autrement, le jugement aurait été scruté par tous ceux qui ont perdu, dit M. Lareau. Si on dit que les pertes deviennent déductibles, à quel moment sont-elles déductibles ? Certains auraient voulu déduire des pertes chaque année. »

L’avocat de M. Duhamel n’a pas commenté la décision de l’ARC de ne pas porter la cause en appel.

Avec la collaboration d’Alice Girard-Bossé, La Presse

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    Selon la poursuite, il s’agit du nombre de tournois de poker auxquels Jonathan Duhamel a participé au cours des neuf dernières années.
    Source : Agence du revenu du Canada