(Edmonton et Ottawa) Sans son agence de santé centralisée, l’Alberta ne serait sans doute pas venue à la rescousse du Québec au début de la pandémie. La province lui a fourni des millions de masques d’intervention.

« Nous étions capables de le faire parce que je savais exactement combien nous en utilisions en 24 heures », relate l’ex-présidente-directrice générale d’Alberta Health Services (AHS) Verna Yiu. « Avant la pandémie, je savais que nous nous servions de 44 000 masques par jour dans toute la province. Au plus fort de la crise, c’était 750 000. »

Ce besoin colossal aurait été impossible à prédire sans un modèle de prévision dont les algorithmes ont permis d’anticiper le nombre de masques qui allaient être utilisés en un mois. La PDG a ainsi pu s’assurer que l’approvisionnement répondait à cette demande hors de l’ordinaire. « Sinon, comment savoir ? On aurait peut-être pensé qu’on en utiliserait quatre ou peut-être cinq fois plus. » Certainement pas 17 fois plus…

La donnée est l’un des grands avantages d’un système centralisé. Elle permet notamment de mieux gérer les stocks de médicaments lors de pénuries et de mettre au jour le caractère systématique de certaines erreurs médicales afin de les corriger.

Quand tout est réuni sous un même toit, vous disposez de leviers que vous n’auriez pas dans un seul hôpital ou une seule agence régionale.

Verna Yiu, ancienne PDG d’AHS

Diminution des coûts

L’atout le plus important est la réalisation d’économies d’échelle. Quelques années après sa création, AHS générait déjà des économies annuelles de 150 à 200 millions en approvisionnement, selon son premier PDG, Stephen Duckett.

Cette marge de manœuvre peut ensuite être réinvestie pour améliorer la qualité des soins et des services. « Ça change tout », souligne Verna Yiu. Par exemple, lors de son mandat, l’agence albertaine a commencé à déployer le dossier de santé électronique dans les hôpitaux, les cliniques et les centres de soins à la grandeur de la province. Le projet vise à intégrer plus de 1300 systèmes de tenue de dossiers en un seul et donner accès au patient à ses informations en ligne. Un projet de 1,4 milliard financé à même le budget d’AHS. « Nous avons reçu seulement 400 millions du gouvernement albertain », souligne-t-elle avec fierté.

Verna Yiu cite également en exemple la création d’hôpitaux virtuels à Calgary et à Edmonton pour les services ambulatoires. Un patient en rémission peut retourner à la maison plus rapidement au lieu de demeurer hospitalisé et se connecter en cas de complications non urgentes. Des professionnels de la santé se déplacent ensuite chez lui pour faire le suivi.

Le nombre de patients traités ainsi est passé d’environ 250 avant la pandémie à 600 pendant, indique Verna Yiu.

L’expert en gestion de la santé Tom Noseworthy a travaillé à la création de réseaux cliniques stratégiques au sein d’AHS qui permettent un transfert des meilleures pratiques d’une région à l’autre grâce aux échanges entre les médecins et les autres professionnels de la santé. « Nous sommes les meilleurs au pays pour la prise en charge des accidents vasculaires cérébraux, pour les résultats des infections myocardiques et des maladies coronariennes », signale le professeur de l’Université de Calgary. Un succès qui pourrait facilement être reproduit au Québec, selon lui.

PHOTO JEFF MCINTOSH, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Une agence de santé centralisée permet de mobiliser des équipes de soins rapidement d’un hôpital à l’autre grâce au système de paie à l’échelle de la province.

Équipes volantes

Il est également beaucoup plus facile de mobiliser des équipes de soins rapidement d’un hôpital à l’autre grâce au système de paie à l’échelle de la province. Ç’a été le cas lors de l’incendie de forêt qui a ravagé la communauté de Fort McMurray en 2016 et au plus fort de la pandémie. Des employés de Calgary ou d’Edmonton étaient envoyés temporairement pour prêter main-forte là où le besoin était le plus criant. « Sans un système de paie unique, c’est beaucoup plus compliqué », observe l’ex-PDG. Il faut inscrire l’employé à l’autre hôpital, s’assurer que les conventions collectives sont harmonisées, organiser la paie, etc.

Cela n’a pas vidé les régions rurales de leurs employés de la santé au détriment des grandes villes, contrairement aux craintes exprimées au Québec, selon le syndicat des infirmières, United Nurses of Alberta. Il y a en fait moins de concurrence entre les régions pour attirer des travailleurs en leur offrant toutes sortes d’avantages puisqu’il n’y a qu’un seul employeur. Mais les régions en dehors des grands centres vivent toutefois les mêmes problèmes de recrutement qu’ici.

« Malgré les premiers désagréments, les avantages ont fini par l’emporter », juge Verna Yiu.

Il reste que ce n’est pas une panacée. À l’instar du Québec, l’Alberta manque de médecins, d’infirmières et tente aussi de diminuer la longueur de ses listes d’attente.

Ceux qui travaillent à l’extérieur de l’agence, comme les médecins de famille, se heurtent à la lenteur de la bureaucratie tout comme ceux qui travaillent dans les hôpitaux.

L’Alberta Medical Association, qui représente les médecins, le syndicat des infirmières et les experts s’entendent sur une chose : des améliorations peuvent être apportées au système de santé albertain, mais le décentraliser comme le préconise le gouvernement de Danielle Smith serait l’équivalent de jeter le bébé avec l’eau du bain.

« Nous avons connu assez de tumulte et nous n’en avons pas besoin de plus », résume le représentant syndical Cameron Westhead.