Le Canada se trouve aujourd’hui à la merci des fabricants de médicaments étrangers, qui ont migré vers l’Asie pour profiter des coûts de main-d’œuvre moindres.

L’Asie au cœur de la production

Ces dernières années, la majorité des entreprises produisant les ingrédients pharmacologiques actifs des médicaments ont été relocalisées de l’Europe vers l’Asie. Parce que la main-d’œuvre y est moins coûteuse, la fabrication du médicament dans sa forme finale a également commencé à être réalisée à l’étranger, dit le pharmacien Jean-François Bussières. Cette délocalisation de la production n’est pas sans conséquence pour le Canada, insiste-t-il. « On n’a plus d’usines et on ne sait plus comment fabriquer [de médicaments]. » Lors de pénuries, le Canada se trouve soumis aux décisions de la Chine et de l’Inde. « Ce sont eux qui décident s’ils nous envoient du stock ou pas », dit-il.

L’effet domino

La mondialisation a également conduit à une réduction du nombre d’entreprises produisant ces ingrédients actifs. La chaîne de production des médicaments est ainsi devenue beaucoup plus vulnérable aux problèmes d’approvisionnement. « Si on a seulement deux fournisseurs de l’ingrédient actif et qu’il arrive des problèmes à l’un des deux, comme des enjeux financiers, de ressources, de contamination ou de production, ça vient complètement affecter tout le reste de la chaîne », dit M. Bussières. La concurrence féroce entre les fabricants fait en sorte qu’ils ne sont plus en mesure de maintenir des stocks importants. « Avant, le fabricant se gardait un [stock], puis il détruisait l’excédent à la fin de l’année. Il avait les moyens de faire ça. Maintenant, il a des [réserves] justes. » Une défaillance dans la production peut alors déclencher des pénuries en cascade. « Souvent, une pénurie en génère deux, trois ou quatre. Tout le monde tombe au combat, parce qu’il y a peu de marge », dit-il.

La gestion complexe des stocks

« Si je vous apprends que le beurre d’arachide ou l’huile d’olive va être en pénurie pendant deux ans, mon petit doigt me dit que vous allez aller à l’épicerie en acheter deux ou trois de plus », lance Jean-François Bussières. Avec les médicaments, c’est plutôt l’inverse qui se produit. Les établissements, y compris les hôpitaux, vont en garder « le moins possible », dit-il. C’est essentiellement en raison d’un manque d’espace dans les établissements de santé, précise la pharmacienne Diem Vo. La situation est similaire dans les pharmacies. « Quand il y a un imprévu, il n’y a pas toujours de tampon. Les pharmacies ont un roulement d’environ un mois », dit Geneviève Pelletier, directrice principale, service pharmaceutique, à l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires. Les pharmaciens propriétaires ne sont pas toujours en mesure de stocker de plus grandes quantités. « Avoir [des stocks plus importants], ça peut paraître une bonne idée, mais il y a des contraintes financières [en jeu] », dit-elle. Stocker un excès de médicaments peut entraîner des pertes potentielles s’ils ne sont pas utilisés avant leur date de péremption.

Le tampon diminue

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Hugues Mousseau de l’Association québécoise des distributeurs en pharmacie

Dans l’entrepôt de l’entreprise McKesson du boulevard Pie-IX, à Montréal, des milliers de caisses de médicaments sont entreposées avant d’être envoyées dans les pharmacies et les hôpitaux. Historiquement, les grossistes en médicaments du Québec conservaient de quoi alimenter leurs clients huit à dix semaines dans leurs locaux, une valeur d’environ un milliard de dollars. Lors des pénuries, les grands stocks permettaient « de pallier un dérèglement temporaire », explique Hugues Mousseau de l’Association québécoise des distributeurs en pharmacie (AQDP). « On était capables de financer [des stocks plus substantiels]. Les taux d’intérêt, entre autres, étaient plus bas, mais les grossistes en médicaments étaient aussi en posture financière plus solide. » La situation financière a changé depuis et les grossistes ne sont plus en mesure de conserver autant de produits. Ils doivent désormais se contenter de constituer des stocks pour quatre semaines.

Hausse de la demande

Une augmentation soudaine de la demande peut entraîner d’importantes pénuries. Ç’a été le cas notamment avec Ozempic, un médicament initialement prescrit pour le diabète, mais qui s’est révélé efficace pour la perte de poids, indique M. Mousseau. « Le fabricant a dû s’adapter en développant de nouvelles façons de produire des quantités plus grandes », dit-il. Les médias peuvent aussi contribuer à cette augmentation de la demande, exacerbant ainsi les problèmes de pénurie. « Le meilleur exemple, je pense, ce sont les enjeux d’approvisionnement qu’on a eus l’an dernier en ibuprofène et en acétaminophène pédiatriques. Le fait d’en avoir parlé abondamment dans les médias a créé dans la population un effet de panique qui a fait en sorte qu’il y a beaucoup de gens qui se sont mis à stocker des quantités importantes à la maison pour éviter d’en manquer », se remémore M. Mousseau.