Seringues plus petites, pression adoucie, nouvelle position de l’enfant ; le CHU Sainte-Justine révise sa célèbre méthode d’hygiène nasale, soupçonnée de contribuer aux otites à répétition, a appris La Presse. De nouveaux documents sont en voie d’impression et les vidéos qui font autorité sur le site de l’établissement mère-enfant seront remplacées.

« Les nouvelles directives du CHU Sainte-Justine concernant l’hygiène nasale seront publiées dans les prochaines semaines », explique l’établissement par courriel. « À la lumière de nouvelles données probantes, on recommande dorénavant de nettoyer le nez des enfants au besoin, en utilisant moins d’eau et en appliquant une pression plus légère. »

Alors qu’approche la saison des rhumes et des otites, les groupes de parents se déchirent sur les réseaux sociaux : appliquer ou non la traditionnelle « méthode Sainte-Justine », martelée depuis plus d’une décennie par bon nombre de médecins ? Cette technique d’irrigation nasale à l’aide d’une solution saline diminuerait la fréquence et la durée de plusieurs infections virales. Les uns assurent que leur otorhinolaryngologiste (ORL) ne jure que par elle ; les autres se font dire par leur médecin spécialiste de mettre le holà.

« Il y a une grande confusion et d’importantes divergences d’opinions qui se sont créées au fil des années », admet la Dre Annie Lapointe, ORL pédiatrique au CHU Sainte-Justine et membre du conseil d’administration de l’Association des ORL du Québec.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

La Dre Annie Lapointe, ORL pédiatrique au CHU Sainte-Justine

Qui dit vrai ? Dans le doute, faute de littérature scientifique suffisante en pédiatrie, le CHU Sainte-Justine met la pédale douce et révise ses instructions. Bien que l’hygiène nasale reste bénéfique, la technique actuellement recommandée pourrait être « trop agressive » et « contribuer aux otites à répétition », explique la Dre Lapointe.

Au printemps, l’ORL a écrit un courriel à ses collègues de quatre autres grands centres hospitaliers universitaires du Québec pour connaître leur position. Elle a alors constaté que chaque établissement y allait de ses propres recommandations.

Pourquoi ? Dans les dernières années, des professionnels de la santé, dont ceux de Sainte-Justine, ont constaté que du liquide s’écoulait dans les oreilles de jeunes patients dont les narines étaient irriguées avec des seringues de 10 ml. C’était frappant chez les enfants à qui l’on avait installé des tubes dans les tympans. La pression du jet, qu’on souhaitait voir entrer par une narine puis sortir par l’autre, était visiblement trop forte.

Au CHU de Québec, de nombreux pédiatres et ORL en sont venus à déconseiller tout simplement la technique promue par Sainte-Justine. « La méthode à la seringue, on ne la recommande pas, parce que ce sont des volumes assez importants qui peuvent potentiellement faire pression sur les trompes d’Eustache qui sont connectées sur l’oreille moyenne », précise le DMarc-André Dugas, chef du département de pédiatrie au centre mère-enfant Soleil du CHU de Québec.

ILLUSTRATION TIRÉE DU SITE D’ADAM HEALTH

À la naissance, la trompe d’Eustache est horizontale et c’est tranquillement, année après année, qu’elle devient oblique et que l’oreille est plus haute que le nez, vers 6-7 ans. Cela contribue aux otites à répétition chez les enfants, note la Dre Annie Lapointe.

« Nos ORL ont l’impression que ça peut mener à des otites séreuses et remplir les oreilles à rebours, poursuit-il. L’autre chose, c’est qu’il faut se demander si on a besoin, chez la majorité des enfants, de seringues avec une pression… Probablement que non. Le mouche-bébé, l’aspiration et les solutions d’hydratation sans pression peuvent être suffisants pour la très grande majorité des patients. »

Une nouvelle procédure

À Sainte-Justine, « depuis deux ans, on dit aux patients de faire l’hygiène nasale plus doucement, mais il subsistait quand même des problèmes », note la Dre Lapointe.

Le centre hospitalier recommandera désormais de troquer les seringues de 10 ml – « le piston est trop gros » – contre des seringues de 3 ml, similaires aux compte-gouttes privilégiés lors de l’implantation de la méthode Sainte-Justine, il y a quelque 25 ans, et abandonnés pour des questions d’hygiène.

Le nouveau format préconisé rappelle les fioles d’irrigation uniques vendues en pharmacie, un choix toujours conseillé, quoique « moins économique et écologique ». L’objectif est d’offrir une hydratation douce, d’environ 1 ml par seconde.

L’hygiène nasale à coups de doses de 3 ml pourra être répétée selon l’âge et l’état du patient. La recette de la solution, elle, ne change pas.

La nouvelle documentation conseillera en outre aux parents de faire l’hygiène nasale alors que l’enfant est sur le dos – « en position changement de couche » –, et non sur le côté, pour éviter que le liquide descende vers les oreilles. « On voudra pousser le liquide vers l’arrière comme la charrue pousse la neige, pour que le bébé l’avale et que son estomac tue les microbes », explique la Dre Lapointe.

Le CHU Sainte-Justine n’a pas répondu à notre question pour savoir si l’établissement comptait faire un mea culpa auprès des parents de jeunes patients qui auraient pu développer des otites à répétition en raison des instructions trop intenses des dernières années.

Voyez l’ancienne méthode de Sainte-Justine