(Québec) Christian Dubé s’attaque à la sous-utilisation des cliniques privées face à un nouveau revers des cibles en chirurgie. Deux ans après le dépôt de son Plan santé, le ministre admet qu’il n’est pas encore « là où il voudrait », même s’il est globalement satisfait des résultats.

En mars 2022, le ministre de la Santé avait dévoilé en grande pompe sa feuille de route pour redresser le réseau de la santé et des services sociaux, affaibli comme jamais après la pandémie. M. Dubé s’était donné trois ans « pour mettre en œuvre les changements nécessaires ».

« J’avais l’horizon 2025, parce que de mon expérience, retourner un bateau de cette grosseur-là, tu ne fais pas ça en criant ciseau », explique le principal intéressé, qui a accepté, à notre demande, de faire son bilan.

« Je suis très content d’avoir mis cet horizon, parce qu’on n’est pas rendu où je voudrais, mais en même temps, il y a beaucoup d’améliorations et la tendance est bonne », plaide le ministre. La Presse a fait état de l’avancement de 10 des 50 mesures du Plan santé. De nombreux indicateurs jaunes et rouges clignotent toujours sur le tableau de bord du ministre.

C’est le cas en chirurgie. Québec ratera sa première cible de ramener le nombre d’opérations en attente de plus d’un an à 7600 au 31 mars. « Je suis honnête, je ne pense pas qu’on va [l’atteindre] dans les deux prochaines semaines », concède M. Dubé.

Opérations en attente depuis plus d’un an

  • Cible intérimaire au 31 mars 2024 : 7600
  • Bilan au 14 février 2024 : 12 221
  • Cible au 31 décembre 2024 : 2500

Source : ministère de la Santé et des Services sociaux

Ce constat est amer pour le ministre, puisque cette liste a diminué considérablement depuis le dépôt du Plan santé, passant de quelque 21 000 à 12 000. Or, les grèves dans le réseau de la santé en décembre dernier combinées aux annulations quotidiennes d’opérations ont plombé le bilan.

Le mois dernier, la Fédération des médecins spécialistes du Québec déplorait le fait que les cibles du plan de rattrapage étaient devenues « irréalistes » et demandait leur révision1.

Interventions au privé

Le ministre de la Santé demande maintenant aux PDG de « redoubler d’efforts » en « optimisant » l’utilisation des cliniques privées de chirurgie qui ont un contrat avec l’État québécois. Québec se dit prêt à offrir « une bonification financière » aux hôpitaux qui augmenteront leur volume.

Selon M. Dubé, les établissements n’ont pas tous « la même volonté » d’utiliser ces cliniques – appelées dans le jargon « centres médicaux spécialisés » ou CMS – pour désengorger leurs blocs opératoires. Certaines cliniques seraient donc sous-utilisées malgré les contrats en vigueur.

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Le ministre de la Santé, Christian Dubé, dans son bureau du parlement

Dans une lettre envoyée aux PDG vendredi, le sous-ministre à la Santé, Daniel Paré, leur donne le feu vert pour « ajuster » les contrats dans les limites de la loi afin de « dégager de nouvelles priorités opératoires » et d’accroître le nombre d’opérations.

« Les appels d’offres ont été faits par établissement, rappelle le ministre Dubé. Il y en a qui n’ont pas de CMS, mais ce n’est pas grave. [Même si tu es] dans les Laurentides, peut-être qu’on peut t’envoyer [au CMS de] Rockland », illustre Christian Dubé.

Le déplacement de patients d’une région à l’autre pour obtenir un service doit être facilité avec la création de Santé Québec, qui deviendra l’employeur unique du réseau.

Des « blitz » à 1000 $ l’heure

Par ailleurs, la cagnotte de 400 millions pour payer les heures supplémentaires au personnel soignant qui voudra participer à des « blitz » d’interventions chirurgicales est enfin disponible, un an après son annonce.

L’information a été confirmée aux PDG dans une autre missive de M. Paré, expédiée la semaine dernière. Chaque établissement se voit accorder « un budget non récurrent prévisionnel » pour mener des offensives qui visent les opérations « hors délais ».

« Le montant global calculé pour chaque heure de blitz est de 1000 $ l’heure », écrit le sous-ministre, ce qui inclut le financement des ressources humaines et « les dépenses en lien avec le temps supplémentaire requis pour mettre en place cette pratique ».

La Presse avait rapporté à l’automne que Québec tardait à mettre cette cagnotte – annoncée en même temps que le plan de rattrapage en mai dernier – à la disposition des établissements2.

Le cabinet du ministre a précisé qu’une première tranche de 50 millions avait été rendue disponible. Cependant, « ça n’a pas percolé », a reconnu Christian Dubé en entrevue.

Ces sommes proviennent de l’Institut de la pertinence des actes médicaux, qui veille à ce que les économies dégagées de la rémunération des médecins spécialistes soient réinvesties dans le réseau.

Des « changements de fond »

Au cours des deux dernières années, Christian Dubé estime être parvenu à poser des jalons vers des « changements de fond » dans le réseau de la santé, même si cela a été « beaucoup plus long » qu’il pensait.

Il cite sa loi pour abolir le recours aux agences de placement et celle pour accroître l’accès à la première ligne.

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Mes collègues savent comment c’est stratégique. Mais le Québécois, lui, n’a pas encore vu l’effet de ça. Ce qui est difficile, c’est que moi, je le vois, mais le patient ne le sent pas partout.

Christian Dubé, ministre de la Santé

Il en va de même pour la création de Santé Québec et le renouvellement des conventions collectives (une entente de principe a été conclue mardi entre la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec et le gouvernement).

M. Dubé se félicite enfin des progrès en matière de prévention et d’accès à la première ligne avec la création du Guichet d’accès à la première ligne et l’amélioration de la fluidité aux urgences. Il explique avoir repoussé les cibles gouvernementales de temps d’attente aux urgences pour en quelque sorte motiver les PDG.

« [On] était tellement loin que je me disais : est-ce que c’est atteignable ? », confie le ministre.

Selon lui, ce sont « des petits succès » qui permettront la réussite des changements en profondeur.

1. Lisez « Des cibles irréalistes, selon la FMSQ » 2. Lisez « 400 millions dorment dans les coffres de l’État »

Soins à domicile : un virage qui se fait attendre, selon Joanne Castonguay

Le virage « massif » vers les soins à domicile promis par le gouvernement Legault, un engagement du Plan santé, se fait toujours attendre, selon la commissaire à la santé et au bien-être, qui vient de terminer un vaste examen de la question à la demande de Québec. « Si [le virage] est entamé, ce n’est pas transparent. Moi, je n’ai pas vu de réaction de la part du Ministère à notre rapport », indique Joanne Castonguay. « Il y a eu un tweet de la ministre et c’est tout. » La commissaire salue l’accroissement du budget et les mesures annoncées par la ministre déléguée à la Santé et responsable des Aînés, Sonia Bélanger, qui a sabré la paperasse et confirmé une formation accélérée pour recruter 1000 préposés en soutien à domicile. Mais ces « initiatives-là sont dans la poursuite de ce qu’on a toujours fait » et ne s’attaque pas aux « éléments fondamentaux » proposés dans son rapport. Le cabinet de Sonia Bélanger rétorque que le gouvernement « avait beaucoup de défis à surmonter pour parvenir à réaliser le virage et les résultats ne peuvent pas être instantanés ». Il assure que « plusieurs recommandations » de la commissaire « sont déjà en déploiement ».