(Québec) À l’approche de l’échéance, les cibles du plan de rattrapage en chirurgie sont « irréalistes » et doivent être révisées, estiment les médecins spécialistes. Ils déplorent les annulations de cas planifiés et le peu de « mobilisation » dans le réseau. Christian Dubé maintient ses objectifs et demande aux établissements d’en faire plus.

Ce qu’il faut savoir

Le ministre de la Santé, aux côtés de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), a lancé en mai 2023 un plan de rattrapage pour les opérations en attente depuis plus d’un an.

La cible est de ramener la liste au niveau prépandémique, c’est-à-dire à 2500, au 31 décembre 2024. Une cible intérimaire est fixée à 7600 au 31 mars, soit dans sept semaines, ce que la FMSQ juge « irréaliste ».

Le plan de rattrapage devait s’attaquer au « fléau des annulations » et disposait d’un fonds de 400 millions, pour encourager le personnel soignant à faire des quarts défavorables.

« Traitez-moi de pessimiste, je ne crois pas, dans l’état actuel des choses […] où l’on tolère encore facilement des annulations de fin de quarts, où je vois très, très peu d’équipes qui se mobilisent en [quarts] inhabituels, que ça va pouvoir baisser jusqu’aux chiffres prévus », constate le vice-président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), le Dr Serge Legault.

Le président du syndicat de médecins n’est guère plus optimiste. « À mon avis, les cibles, actuellement, ne sont pas réalistes et elles doivent être révisées », soutient le DVincent Oliva.

Le ministre de la Santé s’est donné l’objectif de ramener les opérations en attente depuis plus d’un an au niveau prépandémique, soit à 2500, au 31 décembre 2024. Une première cible intérimaire de 7600 a été fixée au 31 mars, soit dans sept semaines. Or, Québec est encore loin de ses visées.

En date du 27 janvier, 13 399 Québécois se trouvent sur une liste d’attente depuis plus d’un an pour passer sous le bistouri. Ces données seront rendues publiques ce mardi dans le tableau de bord du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS).

Cette performance correspond au volume approximatif enregistré au début de novembre (13 539 cas en attente). Ce recul s’explique en partie en raison des jours de grève des travailleurs de la santé en novembre et en décembre et de la période des vacances des Fêtes, selon Québec.

Le MSSS évalue que le débrayage a forcé le report de quelque 4000 opérations non urgentes.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre de la Santé, Christian Dubé

Christian Dubé s’est néanmoins réjoui, la semaine dernière au Salon bleu, du progrès réalisé de décembre à janvier. « Savez-vous quoi ? Les chiffres que j’ai reçus hier montrent qu’on a complètement rattrapé ce retard-là dans le mois de janvier », expliquait-il.

Au chapitre de l’ensemble des patients en attente, les chiffres sont passés de 170 829 au 30 décembre à 166 502 au 27 janvier (- 4327). Québec n’a pas de cible de rattrapage pour cette donnée.

« Entre l’automne 2022 et aujourd’hui, nous avons connu une baisse de près de 40 % des chirurgies en attente de plus d’un an », souligne le cabinet du ministre dans une déclaration transmise à La Presse. Après des semaines plus difficiles, « nous constatons toutefois aujourd’hui que nous renversons déjà la tendance, c’est encourageant », ajoute-t-on.

Nous gardons le cap sur nos objectifs et, pour y arriver, nous demandons à tout le monde de ne ménager aucun effort.

Extrait d’une déclaration du cabinet du ministre de la Santé

Le « fléau des annulations »

Pour la FMSQ, le problème réside surtout dans l’annulation quotidienne d’opérations pourtant prévues à l’horaire. « Un patient qui ne se présente pas, un patient qui arrive en retard, un anesthésiste de malade… il y a une kyrielle de causes [pour annuler une opération] », illustre le Dr Legault.

« Mais là, c’est rendu, que si le cas a un potentiel de dépasser [la fin du quart à 16 h], on l’annule tout de suite », déplore le vice-président de la FMSQ.

Toujours en Chambre, M. Dubé n’a pas nié l’enjeu. « On a des salles d’opération qui ferment trop tôt », a-t-il admis, affirmant qu’environ 150 opérations sont reportées par jour pour différents motifs.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Le vice-président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, le Dr Serge Legault

« Ces chiffres-là, ça fait plus que six mois qu’on les demande au Ministère », a déploré le Dr Legault.

S’attaquer au « fléau des annulations » faisait d’ailleurs partie des priorités du plan de rattrapage annoncé avec la FMSQ et le ministre, en mai 2023, rappelle le syndicat.

Dans une lettre envoyée aux PDG à la fin de janvier, le sous-ministre à la Santé, Daniel Paré, souligne une « augmentation de la liste globale des usagers en attente d’une chirurgie » et réitère qu’ils doivent « tout mettre en œuvre pour rencontrer les objectifs ».

« Il est essentiel que vous utilisiez pleinement tout le temps opératoire disponible de jour, la semaine. Nous vous demandons de porter une attention particulière à la réduction du nombre d’annulations de cas en fin de journée et de vous assurer que la consigne est bien transmise à l’ensemble de vos équipes », écrit M. Paré.

Pour l’heure, environ 6 % des opérations réalisées dans l’ensemble du réseau sont en attente depuis plus d’un an. Québec a demandé aux PDG d’augmenter le rythme à une moyenne de 10 à 12 % pour réussir à atteindre ses cibles. Une « équipe dédiée », un peu comme la cellule de crise dans les urgences, a aussi été créée il y a quelques semaines.

Quarts défavorables

La FMSQ souligne par ailleurs que malgré l’attribution d’un fonds de 400 millions consacrés à payer le temps supplémentaire des travailleurs de la santé qui acceptent, sur une base volontaire, de prolonger les heures d’activité des blocs opératoires, les résultats sont peu encourageants. « Ça ne fonctionne pas du tout », dit le Dr Legault, qui affirme que le programme demeure encore méconnu sur le terrain.

Les sommes proviennent de l’Institut de la pertinence des actes médicaux (IPAM), qui découle d’une entente entre Québec et la FMSQ. La Presse rapportait en octobre que la cagnotte dormait encore dans les coffres de l’État. Le MSSS n’a pas été en mesure de nous fournir une mise à jour des montants dépensés.

Selon le DVincent Oliva, « une très petite portion de ce 400 millions a été dépensée ». Cela dit, ça n’empêche pas des établissements de décaisser eux-mêmes des sommes pour le rattrapage.

La FIQ, qui est toujours en négociations avec Québec, n’a pas voulu commenter le progrès du plan de rattrapage.