(Montréal et Québec) Pendant que « toute l’attention ministérielle était concentrée » sur la vaste réforme de Christian Dubé, le réseau de la santé s’est « complètement figé » et la situation dans les urgences « s’est détériorée de manière fulgurante », dénoncent les chefs d’urgence du Québec.

Dans une lettre coup-de-poing adressée au ministre de la Santé, le Regroupement des chefs d’urgence du Québec (RCUQ) déplore que les urgences soient devenues « hors de contrôle ».

« Nous vous avons interpellé, ainsi que votre équipe, à plusieurs reprises au cours des derniers mois, mais l’inertie reste palpable à tous les paliers décisionnels et la crise ne fait qu’empirer », écrit la présidente du regroupement, la Dre Marie-Maud Couture.

Elle ajoute que « toute l’attention ministérielle était concentrée vers le projet de loi 15 et la réorganisation du système de santé, le réseau, lui, s’est complètement figé ». La réforme du ministre a été adoptée sous bâillon samedi dernier, après 238 heures en commission parlementaire.

Le constat alarmant des chefs d’urgence du Québec survient alors que les urgences du Grand Montréal sont sous pression. La Presse rapportait la semaine dernière que deux patients étaient morts aux urgences bondées de l’hôpital Anna-Laberge, à Châteauguay. Des enquêtes sont ouvertes1.

Or, « les récents décès dans les salles d’attente, aussi médiatisés qu’ils soient, ne sont que la pointe de l’iceberg », écrit la Dre Couture.

Christian Dubé effectue d’ailleurs des visites dans les urgences depuis la semaine dernière, a indiqué vendredi le cabinet du ministre.

« La situation dans nos urgences nous préoccupe. Nous la suivons tous les jours avec les équipes. Notre rôle est de nous assurer de gérer l’urgent et de travailler sur l’important en même temps. Nous avons toutes les personnes en place pour le faire », a-t-on assuré.

Dans les heures ayant suivi l’adoption de sa réforme, M. Dubé admettait que l’étude du projet de loi avait été « excessivement prenante ».

« Je peux vous dire que je vais avoir du temps pour retourner sur le terrain voir ce qui se passe dans les hôpitaux », affirmait-il.

Effets mitigés de la cellule de crise

En entrevue, la Dre Marie-Maud Couture admet que la cellule de crise déployée l’an dernier par le ministre pour désengorger les urgences « avait permis d’apporter des améliorations dans certains établissements », surtout au début de l’année 2023.

Mais ces mesures se sont ensuite essoufflées, selon elle. Avec le dépôt du projet de loi 15 en mars, les rencontres de la cellule de crise ont été moins fréquentes, comme le rapportait la semaine dernière La Presse.

« Aujourd’hui, on est comme on était avant la cellule de crise », soutenait notamment le président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence, le DGilbert Boucher, qui déplorait que le Ministère ait « repris le contrôle » de la cellule et « écarté » les médecins.

La situation dans les urgences est en effet difficile ces jours-ci.

La Dre Couture affirme que depuis août, les associations de médecins d’urgence ont alerté à maintes reprises les équipes ministérielles pour que des solutions soient trouvées à la congestion des urgences.

On a l’impression qu’on ne peut pas faire bouger les choses.

La Dre Marie-Maud Couture, présidente du Regroupement des chefs d’urgence du Québec

Christian Dubé a d’ailleurs eu à défendre sa gestion de la crise aux urgences après les deux morts survenues à l’hôpital Anna-Laberge, répliquant que des établissements de santé tardaient à mettre en place les mesures préconisées par la cellule de crise.

Le ministre a nommé en octobre un « coordonnateur d’accès » à la première ligne qui a repris la mission de la cellule de crise. L’ex-PDG du CIUSSS de la Capitale-Nationale Michel Delamarre a piloté des rencontres lundi et vendredi au sujet des urgences, selon nos informations.

« L’équipe engagée pour la fluidité va sur le terrain et travaille avec les acteurs du réseau », soutient le cabinet de M. Dubé. « Les solutions ne sont pas implantées partout et le rôle de cette équipe est justement de s’assurer de briser les silos et d’améliorer la coordination entre les établissements. »

« Des vœux pieux », selon le RCUQ

Pour le RCUQ, « la réponse à cette crise maintenant permanente […] se résume souvent à des vœux pieux ou à des solutions très complexes ayant pour objectif de dévier les patients ambulatoires peu malades des urgences, patients qui ne contribuent en rien à la congestion sur civières, et dont le pronostic n’est aucunement en jeu ».

Les données du Tableau de bord du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) montrent d’ailleurs que le nombre de lits d’hôpital occupés par des patients qui n’ont plus besoin de soins hospitaliers (NSA) augmente sans cesse depuis des mois.

Ces lits ne sont pas disponibles pour les patients des urgences qui ont besoin d’être hospitalisés. Conséquence : des patients séjournent très longtemps aux urgences, sur des civières, avant d’obtenir un lit aux étages. « Dans certaines urgences, on commence le matin avec 100 % des civières occupées par des patients hospitalisés… », note la Dre Couture.

« Jusqu’à ce jour, très peu d’efforts ont été mis à remédier à la cause première de l’encombrement, soit l’utilisation des civières d’urgence par des patients hospitalisés, et bien qu’il y ait eu des directives en lien avec la surcapacité hospitalière, l’imputabilité et l’application des différents plans de contingence sont restées bien théoriques », écrit-on dans la lettre.

En plus du retour en force de virus respiratoires, les journées de grève dans le secteur de la santé contribuent à un certain ralentissement ailleurs aux étages. Il faut savoir qu’en vertu d’un jugement du Tribunal administratif du travail, les activités aux urgences sont maintenues à 100 %, malgré le débrayage.

1. Lisez « Des enquêtes à la suite de deux morts à Anna-Laberge »