L’intimidation et les menaces sont monnaie courante au Syndicat des débardeurs

Farouchement opposé à l’effritement de son contrôle sur l’embauche au port de Montréal, le Syndicat des débardeurs (SCFP) a plusieurs fois usé de menaces et d’intimidation contre des cadres et des syndiqués pour arriver à ses fins, montrent de nombreuses décisions rendues par des tribunaux d’arbitrage au fil des ans.

Un exemple : en 2017, le syndicat affilié au SCFP a passé un « mot d’ordre syndical » interdisant à ses membres de postuler à un emploi d’opérateur de grue-portique nouvellement créé par l’Association des employeurs maritimes (AEM) à la suite de la fusion de deux terminaux portuaires.

Un débardeur qui a tenu tête au syndicat* a vite subi les contrecoups.

Dans les jours précédant le début de sa formation, le président du syndicat, Martin Lapierre, et le vice-président, Sylvain Charron, ont fait pression sur une formatrice pour qu’elle démissionne à titre de formatrice et n’initie pas son collègue à l’opération des grues, révèle une décision du Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) rendue en mai 2022.

La formatrice, qui a refusé de se conformer aux demandes du bureau syndical, est vite devenue une cible de ses confrères. Le conseiller syndical à la formation et le secrétaire archiviste du syndicat l’ont rencontrée dans un restaurant Tim Hortons : « S’il se passe quelque chose à l’extérieur du Syndicat, on ne pourra rien faire pour toi », lui ont-ils soufflé.

Des collègues croisés sur les quais l’ont ensuite menacée : « On va te jeter dans le fleuve », révèle son témoignage devant l’arbitre. La formatrice ajoute avoir reçu des appels anonymes pendant la nuit et s’être fait traiter de « grosse vache » sur les ondes radio dont se servent les débardeurs pour travailler.

« Ton camion, on va s’en occuper, ta maison, on va s’en occuper », ont menacé d’autres syndiqués, selon le témoignage rapporté dans la décision.

Nerveuse, la formatrice a alors fait installer un système de caméras de surveillance à son domicile.

Lorsque la formation a fini par commencer sur les quais, avec plusieurs jours de retard, l’employé et la formatrice étaient surveillés par deux représentants du syndicat « assis dans une camionnette, stationnée sur le quai, en dessous de la grue-portique ».

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Le Syndicat des débardeurs a plusieurs fois usé de menaces et d’intimidation contre des cadres et des syndiqués pour arriver à ses fins.

En descendant de la grue à la fin de leur quart, le débardeur et la formatrice ont remarqué que de la graisse avait été étendue sur les rampes de l’échelle. Un agent de sécurité a alors été désigné pour les suivre sur le terminal, mais aucun suspect n’a été vu sur les bandes vidéo en train d’enduire l’équipement de graisse, indique la décision.

« Il en ressort clairement de la preuve que la conduite du syndicat et de ses représentants était entachée de mauvaise foi », conclut la vice-présidente du CCRI, Louise Fecteau, dans une décision qu’elle a ordonné au syndicat d’afficher publiquement sur son site web et sa page Facebook.

Un président de syndicat gifle un cadre

Cette façon de faire du syndicat et de ses représentants est décrite dans d’autres jugements du CCRI, remontant jusqu’en 1985. À cette époque, le président du syndicat, Théodore Beaudin, avait « giflé violemment » un cadre dans les bureaux de l’AEM parce qu’il était en colère contre la façon dont l’employeur voulait apporter des modifications à la liste des débardeurs bénéficiant du régime de retraite.

L’AEM l’avait congédié, mais avait été contrainte par le CCRI de traiter avec lui à titre de représentant syndical.

Une personne qui travaille dans l’industrie maritime et qui connaît bien les façons de faire du syndicat affirme que le ton des représentants syndicaux s’est un peu assagi, mais demeure hostile.

« Règle générale, ça se passe très bien avec les débardeurs sur les quais. Mais dès qu’il est question de l’organisation du travail, aussitôt que le syndicat perçoit une attaque contre son pouvoir, le ton monte. Les représentants syndicaux peuvent gueuler à tue-tête contre des cadres, mais aussi contre des membres du syndicat qui remettent en question leurs façons de faire. »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Piquetage des débardeurs lors de la grève de 2021 au port de Montréal

Un gestionnaire « traqué » dans ses déplacements

Entre 2014 et 2018, un des conseillers syndicaux, André Racette, s’est fait ordonner trois fois par des tribunaux de cesser ses gestes et propos déplacés (il a traité un cadre de « porteux de valises » de « caniche » et de « moron » en pleine audience de grief), de mettre fin à ses attaques personnelles et menaces contre les employés de l’AEM et d’arrêter une campagne de harcèlement psychologique visant un gestionnaire du port. Il s’est engagé à verser un total de 3000 $ à la Fondation Jasmin-Roy, qui lutte contre l’intimidation, pour certains de ses gestes.

Dans une déclaration écrite transmise à La Presse, l’AEM dit être « consciente des problématiques de comportement » de certains membres du bureau de direction du syndicat. « Récemment encore, nous avons reçu des commentaires de ceux-ci banalisant des gestes et actes de leur équipe envers les employés corporatifs de l’AEM », soutient l’employeur. « Nous avons tenté plusieurs approches, dont une campagne de tolérance zéro contre la violence et l’intimidation ainsi que des mesures disciplinaires, mais malheureusement, certains membres de l’exécutif syndicat démontrent de la résistance aux changements demandés au milieu de travail », dit l’organisation.

L’historien Étienne Martel, qui a côtoyé pendant plusieurs semaines les membres du syndicat pour écrire L’histoire des débardeurs du port de Montréal, en 2016, en est pour sa part resté marqué. « C’est un syndicat sulfureux, dit-il. Même entre eux, ils peuvent se mettre en gang et isoler une personne. »

Il dit avoir lui-même subi des menaces, de l’humiliation, des mensonges, de la flatterie et plusieurs autres « tactiques » de division lors de sa collaboration avec les débardeurs, pour des raisons qu’il arrive mal à s’expliquer. « Il faut dire que nous étions partenaires. C’est là que j’ai réalisé ce qu’ils pouvaient faire à leurs ennemis », déplore M. Martel.

La Presse a choisi de ne pas nommer certains travailleurs et cadres nommés dans les décisions de cour pour assurer leur sécurité, puisque la plupart d’entre eux sont toujours employés par l’AEM ou ont un lien avec elle.

Aucun congédiement après une violente manif

En juillet 2020, lors d’une grève de quatre jours déclenchée par les débardeurs, une violente altercation a éclaté dans le stationnement du Stade olympique. Une douzaine de gestionnaires de l’opérateur portuaire Termont, que les débardeurs considéraient comme des briseurs de grève, ont été physiquement pris à partie par une cinquantaine de membres du syndicat. Certains gestionnaires, qui sortaient d’un autobus effectuant la navette entre le port et le stade, ont été frappés au visage, alors que d’autres se sont fait voler leur portefeuille par des manifestants, dont certains armés de bâtons, ont rapporté les médias. À la suite d’une enquête policière, 27 membres du Syndicat des débardeurs ont été identifiés parmi les manifestants, dont quatre dirigeants syndicaux, selon nos informations. Neuf membres du syndicat ont été visés par des accusations de harcèlement criminel et d’intimidation, mais celles-ci ont été abandonnées ou ont mené à des acquittements, sauf dans deux cas. Ces deux débardeurs déclarés coupables de voies de fait ont obtenu un arrêt conditionnel des poursuites pour les chefs de harcèlement et d’intimidation, assorti d’une probation d’un an et d’un don de 4000 $ à un organisme de charité. Tous les débardeurs identifiés lors de la manifestation occupent toujours leur emploi à l’Association des employeurs maritimes (AEM), mais les deux débardeurs coupables de voies de fait, ainsi qu’un autre, ne peuvent plus accéder aux installations de Termont, précise l’AEM.

Tristan Péloquin, La Presse