Ceux qui la connaissent la décrivent comme une combattante. Une politicienne redoutable, jamais radicale, aussi intense dans les débats que sur une piste de danse. Mais les éloges n’enterrent pas ces jours-ci le bruit intense du débat qui divise Québec solidaire : la prochaine porte-parole féminine du parti, qui veut percer en région, peut-elle vraiment être issue du 514 ?

Née au Liban de parents réfugiés palestiniens, ayant grandi aux Émirats arabes unis avant d’immigrer à l’âge de 10 ans à Saint-Laurent (où elle a appris le français dans une classe d’accueil), et après une adolescence à Laval, elle est aujourd’hui la députée de Mercier, circonscription qui englobe le Plateau Mont-Royal. Elle n’aurait jamais pensé que son intégration serait si bien réussie qu’elle nuirait à ses chances de devenir co-porte-parole du parti dont elle a participé à la fondation.

« Ce n’est pas le code postal de la future co-porte-parole qui va déterminer pour qui les gens vont voter en 2026. […] Je ne suis pas complexée de venir de Montréal, au contraire, mais ce qui est important, c’est que je sois une porte-parole qui ait une portée nationale », soutient Ruba Ghazal, qui au-delà du parcours de vie, s’identifie à une étiquette : celle d’être « une Québécoise ».

L’ancien député Amir Khadir, qui est allé la chercher afin qu’elle lui succède dans Mercier, en 2018, reconnaît le défi qui l’attend.

Qu’elle arrive à un moment où Québec solidaire veut s’implanter en dehors de Montréal, si c’est dans une perspective de nous faire connaître là où se concentre la population susceptible de changer la donne, ce n’est pas nécessairement dans les régions très éloignées [que ça va se passer], mais plutôt autour des grands centres.

Amir Khadir, ancien co-porte-parole de Québec solidaire

En ce sens, le fait qu’elle ait grandi à Laval, où ses parents habitent toujours, dans une banlieue où QS n’a jamais fait élire un député, pourrait devenir un atout.

La peur du plafond

Dans les rangs de Québec solidaire, l’élection de la prochaine porte-parole féminine suscite l’espoir qu’elle générera une hausse d’intérêt dans la population pour éviter l’image d’un parti confronté à un plafond, bien loin de celle d’un gouvernement en attente.

« On ne peut pas dire que le parti progresse. Il semble avoir atteint un plafond. Je pense que ce plafond-là peut être défoncé, mais c’est sûr qu’il faudra des changements dans l’approche », analyse François Saillant, ancien porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), qui était des militants qui ont fondé Québec solidaire en 2006.

Aujourd’hui retraité, ce militant s’intéresse moins à la ville où réside la prochaine co-porte-parole qu’à ce qu’elle va amener « pour que le parti recommence à progresser ». Tout comme l’ex-députée solidaire Françoise David, qui a refusé de témoigner dans le cadre de ce reportage afin de rester neutre, il précise qu’il ne prend pas position dans la course.

Une réponse aux conservateurs

Pour incarner un renouveau au sein de son parti, Ruba Ghazal – diplômée de HEC et titulaire d’une maîtrise en environnement – met de l’avant l’indépendance du Québec et sa vision « inclusive » du nationalisme québécois. Elle dit vouloir bâtir des ponts avec les Québécois de toutes les origines, et de toutes les régions, pour qui l’idée de créer un pays ou défendre le français a pris une connotation négative avec la montée d’un conservatisme identitaire québécois.

Déjà en 2008, dans un film du cinéaste Claude Godbout sur les enfants de la loi 101, Mme Ghazal s’inquiétait de l’attrait de l’anglais chez plusieurs jeunes.

Dans la tête de plusieurs personnes, comme [pour] mon frère, défendre le français c’est être contre l’anglais ou contre les immigrants. Il va falloir qu’on se réapproprie le discours de la langue et la culture pour le définir à notre façon.

Ruba Ghazal

« C’est mortifère de tenir le discours de François Legault, ou lorsqu’on [entend] qu’il faut moins d’immigrants pour protéger le français », ajoute celle pour qui l’avenir de la langue nationale passe par l’addition du plus grand nombre.

Au caucus de Québec solidaire, les députés Andrés Fontecilla et Sol Zanetti sont convaincus que Ruba Ghazal a ce qu’il faut pour réunir les gens autour de l’indépendance.

« J’ai la conviction qu’il faut que la gauche québécoise se réapproprie le nationalisme avec une vision inclusive. La fierté québécoise a été un peu accaparée par un discours plus conservateur et je pense qu’on doit se sauver de ça », estime M. Zanetti.

Féministe depuis qu’elle a 15 ans, indépendantiste assumée pour un projet de pays résolument à gauche, Ruba Ghazal affirme qu’elle comprend malgré tout le point de vue des Québécois aux valeurs conservatrices, qui se reflétait dans ce qu’on lui enseignait à la maison dans sa jeunesse.

« Elle a grandi en banlieue, elle a travaillé en entreprise, elle a une vision plus large et la capacité de bâtir des ponts. Ruba aime quand les dossiers sont ancrés dans des luttes locales ou dans des choses très concrètes. Il ne faut pas que ça reste juste à l’échelle des idéaux », résume Marie-Noëlle Foschini, qui travaillait jusqu’à récemment au Parlement avec la députée sur les dossiers touchant à l’environnement.

Qui est Ruba Ghazal ?

Âge : 45 ans

Lieu de naissance : Beyrouth, au Liban

Formation : maîtrise en environnement (Université de Sherbrooke) et baccalauréat en administration des affaires (HEC Montréal)

Profession : Avant son élection à titre de députée en 2018, Ruba Ghazal a travaillé en santé, sécurité et environnemnent chez O-I Canada, Church & Dwight Canada, L-3 Communications et Bombardier Aéronautique.

Appuis au sein du caucus de Québec solidaire : Sol Zanetti et Andrés Fontecilla