(Québec) Émilise Lessard-Therrien en a marre qu’on oublie les régions. L’agricultrice du Témiscamingue croit que son élection comme porte-parole féminine du parti de gauche permettrait d’éviter les ratés de la campagne de 2022, qui ont rebuté les citoyens ruraux.

« La campagne nationale nous a fait mal », lance Émilise Lessard-Therrien en entrevue avec La Presse.

Les annonces concernant la taxe sur les véhicules polluants et la fameuse « taxe orange », qui visait à l’origine les agriculteurs, n’ont pas été digérées par les électeurs des régions, fait-elle remarquer.

Pour les séduire, elle croit qu’il faut faire des propositions incarnées qui parlent de leur réalité : sur l’agriculture locale, sur la vitalité des villages, par exemple en encourageant des familles à s’y installer, alors que la crise du logement fait rage dans les grands centres, et sur les soins de santé dans les régions éloignées.

Mme Lessard-Therrien veut succéder à Manon Massé comme porte-parole féminine de Québec solidaire pour incarner cette voix de la ruralité. Si elle avait été au cœur des décisions en 2022, elle aurait pu « lever des drapeaux rouges ». Car ces décisions ont fait mal.

On a reculé dans une trentaine de circonscriptions rurales. Il faut s’intéresser aux causes profondes de cette défaite.

Émilise Lessard-Therrien

« Le moment le plus difficile de ma vie »

L’ancienne députée a elle-même perdu dans Rouyn-Noranda–Témiscamingue. « Ç’a été le moment le plus difficile de toute ma vie. Une déconfiture hallucinante. C’était atroce, physiquement douloureux », laisse-t-elle tomber.

Après la défaite, Mme Lessard-Therrien s’est retirée dans ses terres, avec ses enfants et son conjoint, et s’est occupée de sa cinquantaine de poules. Elle a suivi une formation pour remettre en service son moulin artisanal pour produire de la farine locale.

Émilise Lessard-Therrien s’intéresse depuis longtemps aux enjeux agricoles. En 2015, elle retourne en région après avoir fait une partie de ses études à Montréal. La jeune femme avait le mal du pays. « On peut sortir la fille du Témis, mais pas le Témis de la fille », dit-elle.

Elle multiplie alors les projets. Elle participe à l’ouverture d’une galerie-boutique à Ville-Marie et elle réalise un long métrage documentaire sur l’agriculture au Témiscamingue, rapporte l’hebdomadaire La Frontière. Ce film a été « marquant » dans son cheminement. Puis, elle devient conseillère municipale à Duhamel-Est.

En 2017, elle se retrouve ainsi sur le radar de Nicole Desgagnés et de son conjoint Guy Leclerc, ancien candidat du parti dans Rouyn-Noranda. Ils veulent la recruter comme candidate.

« C’était une fille collée sur son territoire, prête à mettre la main à la pâte, débordante d’énergie. On se demandait juste si c’était une bonne idée de faire ça à quelqu’un qui venait d’avoir un bébé », lance en riant sa proche collaboratrice Nicole Desgagnés, qui a dirigé ses deux campagnes électorales.

La jeune maman est flattée, mais doit réfléchir. Avant de prendre sa décision, elle appelle la députée du NPD Christine Moore, qui avait de jeunes enfants à l’époque.

« Elle voulait savoir les changements que j’avais dû mettre en place, le travail de coulisses que j’avais joué pour faire changer le Parlement, pour s’adapter à ce rôle », se remémore Mme Moore. Lors de son passage à l’Assemblée nationale, Mme Lessard-Therrien a d’ailleurs milité pour la création d’une halte-garderie.

La Fonderie Horne

À l’Assemblée nationale, la députée ne fait pas dans la dentelle. Elle croise régulièrement le fer avec le ministre des Forêts de la Faune et des Parcs et député d’Abitibi-Est Pierre Dufour pour défendre le caribou forestier. Elle se bat pour l’accès aux soins de santé des citoyens en région. Mais son combat pour la qualité de l’air à Rouyn-Noranda en s’attaquant aux émissions polluantes de la Fonderie Horne marque son mandat.

La Chambre de commerce et d’industrie de Rouyn-Noranda a même inscrit au Registre des lobbyistes un mandat visant à amener la députée « à être moins alarmiste à propos de la problématique de l’arsenic ». Et le syndicat des travailleurs de la Fonderie était hostile à son égard. Son président, Stéphane Larente, avait publiquement affirmé qu’elle n’aurait pas son vote avant les élections de 2022.

Pour l’ex-député Amir Khadir, qui prend soin de préciser qu’il ne prendra pas position dans la course à la codirection du parti, il ne s’agit pas d’intransigeance, mais d’un engagement politique « pour défendre l’intérêt public devant le lobby des grandes entreprises ».

C’est comme ça qu’il faut faire la politique. Elle n’a pas atténué sa critique parce que ça risquait de lui nuire. C’est peut-être déchirant, mais c’est avec des gens de conviction que notre société va évoluer.

Amir Khadir, ancien co-porte-parole de Québec solidaire

Le député Vincent Marissal, le seul élu du caucus qui se range derrière Mme Lessard-Therrien, a été impressionné par sa fougue. « Ça n’a pas été facile pour elle. Je ne veux pas jouer du violon. S’en prendre comme ça à l’industrie dominante dans la région, qui fait la pluie et le beau temps. Avoir des préfets et la chambre de commerce contre toi. Ça prend du guts. Une colonne vertébrale forte », laisse-t-il tomber.

Qui est Émilise Lessard-Therrien ?

Âge : 31 ans

Lieu de naissance : Ville-Marie, Témiscamingue

Formation : enseignement au secondaire en univers social, ex-députée de l’Assemblée nationale

Appui dans le caucus : Vincent Marissal