(Ottawa) Dalian Enterprises inc., qui a obtenu l’une des plus grosses sommes pour le développement d’ArriveCAN, est de nouveau sous la loupe des autorités fédérales. Services aux Autochtones Canada (SAC) a lancé un deuxième examen sur son admissibilité aux contrats réservés aux entrepreneurs issus des Premières Nations après avoir appris que son fondateur, David Yeo, ne fait plus partie des administrateurs de la firme.

M. Yeo doit prendre la parole publiquement mardi pour la première fois depuis qu’il fait l’objet d’une controverse. Il témoignera alors au comité des comptes publics de la Chambre des communes. La Presse avait révélé le mois dernier qu’il avait ouvert deux sociétés dans des paradis fiscaux depuis 2011.

Les médias avaient également appris quelques jours plus tard que cet ancien combattant était devenu fonctionnaire pour la Défense nationale alors que sa firme effectuait du travail de consultant en technologies de l’information pour le même ministère. Il s’est alors retiré comme administrateur de Dalian après avoir été suspendu par le ministère de la Défense nationale.

Un audit lancé par SAC en février, dans la foulée du rapport de la vérificatrice générale sur le fiasco financier d’ArriveCAN, a confirmé que Dalian « remplissait les conditions requises pour être inscrite au Répertoire des entreprises autochtones (REA) ». M. Yeo est membre de la Première Nation d’Alderville, en Ontario, une information confirmée à La Presse par le chef de la communauté.

PHOTO TIRÉE DU PROFIL LINKEDIN DE DAVID YEO

Le fondateurt de Dalian Enterprises, David Yeo

« Toutefois, des renseignements attribués à Dalian Enterprises par des médias récents semblent contredire les renseignements fournis à SAC par l’entreprise lors de l’audit réalisé plus tôt cette année, ajoute le porte-parole du ministère, Randy Legault-Rankin. Le gouvernement fédéral procède donc à un nouvel audit de l’entreprise afin de confirmer son admissibilité au REA. »

Les entreprises inscrites au répertoire doivent prouver que leurs propriétaires « détiennent le contrôle majoritaire de l’entreprise » en plus de démontrer qu’ils sont « membres des Premières Nations, des Inuit ou des Métis » et « qu’ils résident au Canada » pour avoir accès au milliard de dollars en contrats fédéraux qui leur sont réservés annuellement.

Déjà exclue

La firme est donc suspendue du répertoire jusqu’à nouvel ordre, mais cette nouvelle suspension risque d’avoir peu d’effet, puisque Dalian est déjà exclue du processus d’approvisionnement depuis la perte de sa cote de sécurité au début du mois. Coradix Technology Consulting, avec qui elle forme une coentreprise pour les contrats réservés aux firmes autochtones, fait également l’objet d’une suspension qui l’exclut des mécanismes d’approvisionnement.

Dalian a décroché de nombreux contrats fédéraux au cours des dernières années grâce à son statut reconnu d’entreprise autochtone. Le montant s’élève à 8 millions pour ArriveCAN, selon la vérificatrice générale. L’entreprise, qui compte seulement deux employés à temps plein, a également obtenu 149,5 millions en contrats depuis 2008, dont plus de 3 millions pour ceux accordés par la Défense nationale, selon les données tirées des comptes publics.

Dans une déclaration le 8 mars, un porte-parole de Dalian, qui avait refusé de s’identifier, affirmait que son entreprise avait passé haut la main un audit du ministère « mené de décembre 2023 à février 2024 » et qu’il avait « confirmé que Dalian répondait avec succès aux critères » pour faire partie du répertoire. Dans le même courriel, la firme notait aussi que M. Yeo avait pris des mesures pour éviter les conflits d’intérêts, qu’il n’avait eu « aucune implication dans la gestion ou les opérations de Dalian » depuis son embauche au ministère de la Défense nationale en septembre 2023 et qu’il avait placé ses actions de l’entreprise dans une fiducie sans droit de regard.

Or, il n’y a pas un, mais plusieurs audits en cours pour vérifier si la coentreprise formée par Dalian et Coradix répond aux critères de la Stratégie d’approvisionnement auprès des entreprises autochtones, et ils ne seront pas terminés avant l’été, a indiqué SPAC. Le ministère n’a pas été en mesure de fournir un échéancier plus précis vu « la nature complexe » de ces vérifications.

Le ministère promet de rendre public un résumé de tous les audits concernant Dalian lorsqu’ils seront terminés en excluant « les renseignements jugés confidentiels ou personnels » et « les renseignements commerciaux de nature délicate ».

En 2021, le gouvernement Trudeau s’est fixé comme objectif d’accorder annuellement au moins 5 % de la valeur totale de tous les marchés publics du fédéral à des entreprises autochtones, soit l’équivalent de la proportion de la population autochtone au pays. Cela représente environ 1 milliard par année.

Avec Joël-Denis Bellavance et William Leclerc, La Presse