(Ottawa) La firme au cœur du fiasco financier d’ArriveCAN a touché 2,5 millions de commission en deux ans pour jouer les intermédiaires. L’un des deux associés de GC Strategies, Kristian Firth, a justifié son taux horaire de 2600 $ l’heure par le fait qu’il ne fait pas du 9 à 5. Il a également démenti les chiffres de la vérificatrice générale lors de son témoignage devant les élus mercredi.

« C’est ma troisième fois devant le comité, a déploré d’entrée de jeu celui qui a témoigné par visioconférence. On m’a contraint à être ici. Le mois dernier, pratiquement tout ce qui a été rapporté dans les médias sur mon entreprise et sur moi était faux. »

Le sergent d’armes n’aura donc pas eu besoin de l’arrêter pour le forcer à témoigner devant le comité des opérations gouvernementales de la Chambre des communes comme l’avaient réclamé les élus. Il s’est plaint d’avoir été forcé de se présenter contre l’avis de son médecin alors qu’il était prêt à répondre aux questions par écrit.

On lui a fait prêter serment, une procédure rarement utilisée par les comités. Son témoignage, qui a finalement duré plus de trois heures, soulève des questions sur les juteuses commissions des entreprises de dotation qui agissent comme intermédiaires entre le gouvernement fédéral et des travailleurs des technologies de l’information.

Rapidement, M. Firth a soutenu que le rapport déposé au Parlement par Karen Hogan le mois dernier est erroné. Il soutient que son entreprise a été payée 11 millions afin de recruter des développeurs pour l’application ArriveCAN et non 19,1 millions, comme elle l’a écrit.

« Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles il pourrait y avoir des divergences », a-t-il expliqué. Il a cité le manque de fiabilité des systèmes financiers de l’Agence des services frontaliers du Canada et le fait que la vérificatrice générale a inclus des factures jusqu’en mai 2023. La dernière facture de GC Strategies pour ArriveCAN datait plutôt de juillet 2022.

« Il y a donc encore une année de facturation qui pourrait même ne pas être liée à ArriveCAN, mais encore une fois personne ne le sait à cause de la façon dont les choses ont été étiquetées à l’interne », a-t-il déploré.

L’application, qui était obligatoire à la frontière durant la pandémie de COVID-19, a fait l’objet d’importants dépassements de coûts. La vérificatrice générale estime que GC Strategies a obtenu la part la plus importante des contrats, soit près du tiers des 60 millions qu’a fini par coûter l’application.

Trois fois le salaire du premier ministre

M. Firth a indiqué que la commission de GC Strategies sur ces contrats s’élevait à 2,5 millions moins ses dépenses et les impôts, et ce, pour environ 30 à 40 heures de travail par mois. Comme la firme ne compte que deux employés, le montant s’élève donc à 1,25 million par personne sur deux ans ou 625 000 $ par année. Cela représente trois fois le salaire annuel du premier ministre du Canada.

« Nous faisons la facturation, nous faisons les feuilles de temps, nous faisons la comptabilité, nous payons nos ressources », a décrit le cofondateur de l’entreprise avant de se faire interrompre.

PHOTO LA PRESSE

L’adresse de GC Strategies mène à cette résidence de l’ouest d’Ottawa. La firme compte seulement deux associés.

« Comment justifier auprès des contribuables qu’en tant que recruteur, vous leur facturiez effectivement plus de 2500 dollars l’heure pour votre participation à ArriveCAN ? », lui a demandé le député Garnett Genuis.

« Il faut tenir compte davantage du fait qu’il ne s’agit pas d’un travail à horaire fixe, s’est justifié M. Firth. Je peux travailler le soir, je peux travailler le jour, je peux travailler le week-end. »

« C’est plus que choquant », s’est emportée la députée bloquiste Julie Vignola à sa sortie du comité.

Tu cherches sur LinkedIn pour du monde. Tu soumets ce monde-là [au gouvernement]. Tu reçois 2,5 millions de dollars. Est-ce que c’est choquant ? C’est outrageant ! 2,5 millions de dollars, c’est deux vies de salaire pour monsieur et madame Tout-le-Monde.

Julie Vignola, députée du Bloc québécois

Lorsqu’elle a questionné M. Firth sur les paradis fiscaux, il a répondu qu’il ne les utilisait pas.

Certains députés conservateurs ont perdu patience à quelques reprises lorsque le cofondateur de GC Strategies a refusé systématiquement de nommer les fonctionnaires avec qui il a fait affaire, « à cause de la tournure que prend le comité » ou parce qu’il n’avait pas les noms devant lui. Il s’est engagé à les fournir par écrit d’ici ce jeudi matin.

Il a accusé les élus de tenter de les diviser, lui et son associé, Darren Anthony, qui doit livrer sa version des faits pour la première fois ce jeudi.

M. Firth a rappelé qu’il avait été dépeint comme un fraudeur par les élus lors de son dernier témoignage en novembre et a attribué la perte de ses contrats avec le gouvernement fédéral à cette situation. Il a également indiqué que sa famille et lui avaient reçu des centaines de courriels de menaces depuis.

GC Strategies a récemment perdu sa cote de sécurité du gouvernement fédéral. Elle se retrouve ainsi complètement exclue du processus d’approvisionnement. Le ministère des Services publics et de l’Approvisionnement a indiqué la semaine dernière avoir transmis des informations à la Gendarmerie royale du Canada qui avait déjà ouvert une enquête concernant un contrat pour un autre projet antérieur à ArriveCAN.