(Ottawa) Après les associés de GC Strategies, c’est au tour du fondateur de Dalian Enterprises inc. de contester les chiffres de la vérificatrice générale. David Yeo a affirmé que sa firme avait reçu 4,9 millions de contrats pour ArriveCAN et non 7,9 millions comme l’avait écrit Karen Hogan dans son rapport dévastateur sur les dépassements de coûts de l’application. Il a refusé de dire à combien s’est élevée sa commission et a affirmé qu’il n’avait déposé aucune somme dans des paradis fiscaux.

« J’ai lu tout le rapport », a-t-il dit en prenant soin de montrer à la caméra la version papier qu’il a annotée lors de son témoignage par vidéoconférence mardi après-midi au comité des comptes publics de la Chambre des communes. « C’est un bon rapport, mais il y a des éléments vagues et des disparités. »

L’entrepreneur, qui a servi des années dans les Forces armées canadiennes, s’est présenté avec ses quatre médailles militaires à la boutonnière pour son témoignage. Un certificat reconnaissant son travail en Afghanistan était bien visible derrière lui.

C’est la première fois que M. Yeo prenait la parole publiquement depuis qu’il fait l’objet d’une controverse. La firme qu’il a fondée, Dalian Enterprises inc., est celle qui a obtenu l’une des plus grosses sommes pour le développement d’ArriveCAN, après GC Strategies.

PHOTO SPENCER COLBY, LA PRESSE CANADIENNE

Karen Hogan, vérificatrice générale

L’un des associés de GC Strategies, Darren Anthony, avait semé l’incrédulité et même suscité des rires parmi les députés la semaine dernière lorsqu’il avait avoué en comité ne pas avoir lu le rapport de la vérificatrice générale qui mettait en cause son entreprise.

Contrairement aux associés de GC Strategies, M. Yeo n’a pas voulu dévoiler le montant de la commission qu’il avait empochée. « Il n’y a pas de chiffre », a-t-il répondu au député conservateur Larry Brock, qui le pressait de questions. Il a cependant accepté de fournir l’information au comité dans les 14 jours.

Le fondateur de Dalian a affirmé que son entreprise avait obtenu 1,6 million en contrat par année durant trois ans pour un total de 4,9 millions sur le contrat qui l’a amené à travailler sur ArriveCAN. Son rôle était de trouver du personnel spécialisé en technologies de l’information pour lui sous-contracter le travail.

Le bureau de la vérificatrice générale a maintenu son estimation de 7,9 millions, mardi.

Des « fausses nouvelles »

Questionné sur les sociétés qu’il a ouvertes dans les paradis fiscaux, M. Yeo a soutenu l’avoir fait après un séjour en Afghanistan afin de travailler comme contractuel pour la Défense nationale. « Comme entrepreneur, je suis vraiment intéressé par le fait de brasser des affaires à l’international », a-t-il offert comme explication. Il a ajouté n’y avoir déposé aucune somme.

« La Presse a sorti ses fausses nouvelles sur le fait que j’ai été employé du gouvernement pendant des décennies. Il faut prendre ça avec un grain de sel », a-t-il d’abord répondu à une question de la députée bloquiste Nathalie Sinclair-Desgagné sur la somme d’argent qu’il avait mise dans des paradis fiscaux.

La Presse a révélé le mois dernier que M. Yeo avait ouvert deux sociétés dans des paradis fiscaux⁠1 depuis 2011, une pratique qui n’est pas illégale, mais qui constitue un « drapeau rouge », selon les experts.

Quelques jours plus tard, le ministère de la Défense nationale l’avait suspendu après avoir découvert qu’il travaillait à la fois comme fonctionnaire et comme consultant avec Dalian. Il a indiqué avoir quitté son emploi de fonctionnaire récemment après seulement 168 jours en poste.

En début de témoignage, M. Yeo a affirmé que « malheureusement, aucun média n’avait contacté Dalian » avant de rapporter sa suspension de son poste de fonctionnaire à la Défense nationale à la fin du mois de février, ce qui est faux.

Plusieurs tentatives

La Presse avait tenté de le joindre et de joindre Dalian à de multiples reprises avant de publier l’article sur ses sociétés dans des paradis fiscaux et avait réessayé les jours et les semaines qui ont suivi. M. Yeo n’avait alors répondu à aucune des questions envoyées par La Presse à son cellulaire, à son courriel professionnel et à l’adresse générale de Dalian concernant ses activités offshsore.

Une réceptionniste travaillant à la fois pour Mad Ads Interactive et pour Dalian avait confirmé de vive voix à La Presse lui avoir transmis les courriels.

La Presse est également allée en personne au bureau que Dalian partage avec Coradix au centre-ville d’Ottawa et à la résidence de M. Yeo, mais dans les deux cas, il n’y était pas.

« Votre réponse est hallucinante. Pour faire du commerce international, on ouvre des comptes dans des paradis fiscaux », s’est exclamée la députée du Bloc québécois Nathalie Sinclair-Desgagné.

« Peut-être que les médias n’avaient pas besoin de vous le demander parce qu’ils ont bêtement supposé que ce que vous aviez dit au Parlement le 31 octobre était la vérité », a fait valoir avec ironie le député conservateur Garnett Genuis en se référant à son témoignage précédent où il s’était présenté comme président de Dalian. Il s’est retiré comme administrateur de Dalian au début du mois de mars après avoir été suspendu par le ministère de la Défense nationale.

Dons au Parti conservateur

Son témoignage a donné lieu à quelques moments cocasses où l’on a appris qu’il était un donateur du Parti conservateur du Canada. Il a affirmé qu’il avait quitté le Parti populaire de Maxime Bernier, pour qui il avait été candidat en 2021, et qu’il était désormais membre du Parti conservateur. Il est allé jusqu’à montrer à la caméra une carte pour le prouver. Celle-ci s’est avérée être une carte de donateur et non une carte de membre, ce que les députés conservateurs présents dans la salle, incluant le président du comité, se sont empressés de souligner à voix haute.

Avec Vincent Larouche, La Presse

1. Lisez « Un pied dans les paradis fiscaux »

Ce qu’il faut savoir

Le président et fondateur de Dalian, David Yeo, a pris la parole publiquement mardi pour la première fois depuis qu’il fait l’objet d’une controverse.

Il a contesté les chiffres de la vérificatrice générale à l’effet que son entreprise avait obtenu pour près de 8 millions de contrats pour l’application ArriveCAN.

Il a été suspendu récemment de son poste de fonctionnaire à la Défense nationale parce qu’il effectuait également du travail comme consultant avec son entreprise pour le même ministère.

La Presse a révélé qu’il avait ouvert des sociétés dans des paradis fiscaux en 2011.