(Ottawa) Les changements à la Loi sur les mesures d’urgence feront partie de la vaste modernisation des lois touchant la sécurité nationale, incluant la définition de ce que constitue une menace à la sécurité du pays. Le ministre fédéral de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc promet de présenter sa réforme « au cours des prochains mois », mais veut d’abord consulter les provinces.

Il a rendu publique mercredi la réponse du gouvernement aux 56 recommandations de la Commission sur l’état d’urgence. Dans le document qui compte 25 pages, le gouvernement Trudeau ne s’engage pas à mieux définir les menaces à la sécurité nationale dans la Loi sur les mesures d’urgence, comme le recommandait le juge Paul Rouleau il y a un peu plus d’un an. Le ministre LeBlanc a toutefois indiqué en point de presse que ces changements législatifs feraient partie d’une réforme plus vaste qui vise également à contrer l’ingérence étrangère.

« Lorsque la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité a été élaborée, il n’y avait pas d’iPhone, a-t-il rappelé. Vous pouvez voir qu’il existe certaines lacunes, donc nous croyons qu’une révision complète de la législation sur la sécurité nationale est le bon moment pour traiter les recommandations très réfléchies sur la Loi sur les mesures d’urgence. »

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Dominic LeBlanc

Sa réforme modernisera à la fois la législation sur le renseignement et celle sur la sécurité nationale, dont Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, la Loi sur la protection de l’information et le Code criminel.

Pressé de questions par les journalistes, le ministre LeBlanc s’est gardé d’avancer un échéancier. La réponse du gouvernement au rapport de la commission Rouleau n’en contient aucun malgré une recommandation explicite à cet effet. Il a dit vouloir se donner le temps de consulter les « partenaires dans la fédération ».

« Vous pouvez imaginer la réaction des gouvernements, que ce soit le Québec ou d’autres provinces si on procédait unilatéralement à modifier la Loi sur les mesures d’urgence, a-t-il fait valoir. Dans la loi, il y a énormément d’obligation de consultations provinciales et nous les avons respectées. On comprend l’importance de ça. »

En coulisse, on explique que les changements à cette législation d’exception pourraient également nécessiter des modifications à des lois provinciales.

Le gouvernement entend donc consulter les provinces, les territoires, les représentants autochtones et la société civile sur les 22 recommandations du rapport Rouleau qui portent spécifiquement sur cette législation massue qui a remplacé la Loi sur les mesures de guerre en 1988. Le gouvernement y avait eu recours pour la première fois en février 2022 pour mettre fin au « convoi de la liberté » en février 2022. Des milliers de camionneurs paralysaient alors le centre-ville d’Ottawa depuis trois semaines, du jamais vu dans la capitale fédérale.

D’autres camions bloquaient également le pont Ambassador à Windsor et des postes frontaliers ailleurs au pays, dont celui de Coutts, en Alberta. Les manifestants étaient opposés à la vaccination obligatoire pour les camionneurs et aux autres mesures sanitaires imposées durant la pandémie de COVID-19.

« C’était un moment extraordinaire qui nécessitait des mesures extraordinaires », a répété M. LeBlanc.

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Ce n’est pas ce qu’a conclu le juge Richard Mosley de la Cour fédérale en janvier. Selon lui, le recours à la Loi sur les mesures d’urgence n’était pas justifié et contrevenait à la Charte canadienne des droits et libertés. Il a reconnu que ces manifestations ont nui à l’économie canadienne, comme le faisait valoir le gouvernement, mais que cela ne constituait pas une menace à la sécurité nationale. La situation aurait pu être réglée avec « toute autre loi du Canada », avait-il souligné.

Le gouvernement a récemment porté ce jugement en appel. Environ un an auparavant, le juge Rouleau concluait le contraire « à contrecœur » dans son rapport rendu public le 17 février 2023. Le gouvernement avait un an pour y répondre.

La justification du recours historique à la Loi sur les mesures d’urgence reposait sur la définition de menace à la sécurité nationale du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) qui comprend l’espionnage ou le sabotage, l’ingérence étrangère, l’usage de violence grave ou les actions visant à renverser le gouvernement. La loi précise que cette définition ne s’applique pas aux manifestations licites.

L’une des principales recommandations de la commission Rouleau était de remplacer la définition de menace à la sécurité nationale qui s’applique au SCRS par une nouvelle définition dans la Loi sur les mesures d’urgence pour mieux saisir les situations qui pourraient poser « un risque grave pour l’ordre public » aujourd’hui et à l’avenir.

Le gouvernement promet également de mieux protéger les infrastructures critiques comme le recommandait le juge Rouleau. Une nouvelle version de la Stratégie nationale sur les infrastructures essentielles doit être présentée d’ici la fin de l’année.

Il rejette la recommandation d’obliger le ministre de la Justice de fournir l’avis juridique qu’il donnerait au gouvernement si la législation était invoquée de nouveau. Le gouvernement avait refusé de le dévoiler lors des audiences de la commission Rouleau. Il ne retient pas non plus la recommandation de lever la confidentialité des documents du Cabinet lors d’une future enquête publique même s’il avait choisi de le faire pour une partie de ces documents. Il reviendra au gouvernement en place d’en décider s’il avait encore recours à cette loi lors d’une nouvelle situation extraordinaire.

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En ce qui a trait aux recommandations sur l’amélioration de la réponse policière, le ministre LeBlanc a indiqué que des changements avaient déjà commencé à être apportés dès la fin du convoi de la liberté. Il y a désormais davantage de canaux de communication officiels entre le gouvernement et les forces de l’ordre pour favoriser l’échange d’information et une meilleure coordination.

Il espère également annoncer bientôt, peut-être dans le prochain budget fédéral, l’intégration du Service de police d’Ottawa dans une structure de commandement unifiée. Le service de police municipal avait fait piètre figure en laissant les camions bloquer les rues du centre-ville de la capitale et en laissant les manifestants s’incruster.

Ce qu’ils ont dit

On piétine, on cherche des boucs émissaires, on se défile. Il n’y a rien de vraiment concret. Quand on ne se défile pas, on nous annonce que, oui, on va travailler à continuer d’espérer qu’on va consulter… Ça tourne dans le vide.

Rhéal Fortin, porte-parole du Bloc québécois en matière de justice

C’est décevant qu’après avoir pris plus d’un an pour examiner les recommandations du juge Paul Rouleau, les libéraux ne s’engagent même pas sur un calendrier ou un suivi de la mise en œuvre desdites recommandations.

Peter Julian, porte-parole néo-démocrate en matière de sécurité publique

Justin Trudeau a violé les droits les plus fondamentaux des Canadiens et a enfreint la loi la plus haute du pays lorsqu’il a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence. Les conservateurs de gros bon sens protégeront toujours les droits des Canadiens garantis par la Charte.

Marion Ringuette, porte-parole du chef conservateur Pierre Poilievre