(Québec) Le gouvernement du Québec s’adressera au plus haut tribunal du pays, la Cour suprême, pour empêcher les enfants de demandeurs d’asile d’avoir accès aux garderies subventionnées.

Ce qu’il faut savoir

Québec demande à la Cour d’appel de suspendre l’exécution de son jugement du 7 février, en vertu duquel les demandeurs d’asile ont accès aux garderies subventionnées.

La cause sera portée en appel devant la Cour suprême du Canada.

En attendant, des demandeurs d’asile se plaignent de ne pas avoir accès aux places à tarif réduit, ce qui est illégal.

Le Procureur général du Québec a annoncé les intentions du gouvernement dans une requête déposée mercredi à la Cour d’appel, où il demande à celle-ci de suspendre l’exécution de son jugement qui donne raison aux demandeurs d’asile.

Le 7 février, la Cour d’appel a conclu que l’exclusion par le gouvernement des demandeurs d’asile du programme d’accès aux services de garde subventionnés constitue une mesure discriminatoire à l’égard des femmes et porte atteinte au droit à l’égalité protégé par l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés de la personne.

Cette décision de la cour est exécutoire depuis le 7 février, c’est-à-dire que les demandeurs d’asile ont le droit d’envoyer leurs enfants dans des garderies à 9,10 $ par jour.

C’est ce que le Procureur général du Québec veut changer en demandant à la Cour d’appel de ne pas forcer le gouvernement à leur ouvrir les portes des garderies subventionnées avant que la Cour suprême se penche sur le dossier. La Cour d’appel devrait se prononcer sur cette requête d’ici quelques semaines.

Mais, en attendant, plusieurs parents se heurtent à des refus, ce qui est illégal.

« On lutte de jour en jour »

« Ma demande a été rejetée vendredi », a confié Aliancia Mercredi à La Presse.

Mme Mercredi, demandeuse d’asile haïtienne et mère de deux enfants, travaille dans une garderie subventionnée, comme aide-éducatrice. Sa petite de 18 mois est inscrite dans une garderie privée à 40 $ par jour.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Aliancia Mercredi et sa petite fille de 18 mois

« On n’a pas le choix, se désole-t-elle. Il faut payer la garderie. On n’est pas capables, mais on lutte de jour en jour pour pouvoir la payer. On n’a même pas droit aux remboursements anticipés. Ça sort de notre poche, et c’est un peu difficile pour nous parce qu’on est un couple à faible revenu. »

Un père de famille, qui a requis l’anonymat, a aussi essuyé deux refus après avoir inscrit son fils de 3 ans dans 11 garderies subventionnées, près de chez lui.

« On ne peut pas payer la garderie privée. À 40 $, 50 $ pour une journée, il faut tout un salaire pour envoyer un enfant dans une garderie privée », a dit le demandeur d’asile, qui possède un permis de travail et qui occupe un emploi. Lui et sa femme ont demandé l’asile en juin 2022.

« Dès que j’ai vu la décision de la Cour d’appel, j’ai inscrit mon fils sur la Place 0-5, a-t-il ajouté. Le jour même, une garderie nous a contactés. Ils nous ont envoyé un message pour dire qu’ils ont des places, vous pouvez envoyer votre dossier. Mais dès que je l’ai appelée, et que j’ai dit que je suis un demandeur d’asile, elle a dit, non, monsieur, je suis désolée. Je lui ai dit que c’était officiel. Mais elle m’a dit, non, monsieur, je viens d’appeler personnellement le ministère de la Famille. On m’a confirmé que ce n’est pas encore officiel. »

Cette garderie privée subventionnée, le Centre éducatif privé de Montréal, a confirmé l’information à La Presse. « Le Ministère nous dit d’attendre, qu’il n’y a pas encore de décision finale, précise une responsable. On n’a pas vraiment d’information. Dans le fond, on a juste la directive que ce n’est pas encore finalisé. On ne dit pas que ça ne le sera pas, mais que, présentement, on ne peut pas encore les accepter. »

Cependant, au ministère de la Famille, on affirme que l’admission d’un enfant de demandeur d’asile est permise pour le moment. « Le Ministère accompagne les membres du réseau de services de garde au besoin pour les modalités relatives à l’octroi de places subventionnées aux demandeurs d’asile », a précisé la porte-parole Wendy Whittom.

Mais les organismes sur le terrain font entendre un autre son de cloche.

« Sur le compte Facebook du Comité Accès garderie, j’ai des familles qui m’envoient des messages pour me dire, j’ai été en garderie, mais on ne veut pas m’accepter », relate Delphine Mas, de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes. « Les gens demandent : est-ce que j’ai le droit ? Est-ce que je n’ai pas le droit ? Alors, oui, c’est un droit depuis le 7 février. Simplement, les garderies n’ont pas les directives du gouvernement. Donc, ça ne fonctionne pas. Alors que le jugement aurait dû être exécuté dès le départ. »

Depuis 2018

L’histoire remonte à 2018, au moment où le gouvernement a réinterprété l’article 3 du Règlement sur la contribution réduite de la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance, qui indique qu’une personne est admissible aux garderies subventionnées si elle « séjourne au Québec principalement afin d’y travailler ».

La Cour supérieure a rendu un premier jugement, le 25 mai 2022, donnant raison à la plaignante, Bijou Kanyinda. Cette décision a aussitôt été portée en appel par le gouvernement. La Cour d’appel a tranché le 7 février en faveur de Mme Kanyinda.

Dans sa requête, Québec demande à la Cour d’appel de suspendre l’application de son jugement parce que celui-ci a pour effet « de modifier le statu quo et d’imposer une solution au gouvernement du Québec alors que les tribunaux ne se sont pas encore prononcés de façon définitive sur les questions posées par la présente affaire ».

« Nous sommes profondément en désaccord avec l’interprétation des juges selon laquelle il s’agirait d’une discrimination fondée sur le sexe », a déclaré la ministre de la Famille, Suzanne Roy.

« Nous sommes évidemment sensibles à la situation des demandeurs d’asile. Le Québec sera toujours l’un des endroits les plus accueillants au monde, a-t-elle ajouté. Il n’empêche que nous devons être réalistes et conséquents. Il faut prendre en considération les impacts financiers et humains. »

En réaction, le député Guillaume Cliche-Rivard, responsable des dossiers famille et immigration pour Québec solidaire, a déclaré : « Ce n’est pas en empêchant leurs enfants de fréquenter nos CPE que la situation va s’améliorer. »

En savoir plus
  • 8345
    Nombre estimé de demandeurs d’asile de 0 à 4 ans
    Gouvernement du Québec
    32 113
    Nombre d’enfants en attente d’une place en garderie au Québec
    Gouvernement du Québec