(Ottawa) Écarté du nouveau partenariat militaire entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie (AUKUS) pour le développement de nouveaux sous-marins nucléaires, le gouvernement Trudeau a discrètement manifesté son désir d’intégrer les équipes de ce groupe sélect qui traitent des enjeux liés à la cybersécurité et à l’utilisation de l’intelligence artificielle.

L’histoire jusqu’ici

  • Septembre 2021 : Au terme de plusieurs mois de négociations, les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie annoncent un nouveau partenariat militaire, l’AUKUS. Son objectif est d’aider l’Australie à développer une flotte de sous-marins à propulsion nucléaire.
  • Mars 2023 : Le président américain, Joe Biden, reçoit les premiers ministres britannique et australien lors d’une rencontre sur une base navale à San Diego afin de confirmer les prochaines étapes de l’alliance militaire tripartite.
  • Mai 2023 : Un document du Bureau du Conseil privé montre que le Canada tente de se joindre à une section de l’alliance militaire qui se penche notamment sur les enjeux liés à l’intelligence artificielle et à la cybersécurité.
  • Décembre 2023 : L’ambassadeur des États-Unis à Ottawa, David Cohen, confirme dans une entrevue avec La Presse que Washington voit d’un bon œil l’intérêt du Canada.

Selon des informations obtenues par La Presse, le gouvernement de Justin Trudeau a fait part à l’administration Biden l’an dernier de son désir de faire partie des équipes de l’alliance tripartite qui se penchent sur ces questions précises et six autres enjeux liés au renforcement de la sécurité nationale. Les États-Unis ainsi que les deux autres membres de l’AUKUS voient cette démarche du Canada d’un bon œil.

L’exclusion du Canada de l’AUKUS avait provoqué un certain émoi au pays.

« L’AUKUS comporte deux piliers visant à faire progresser le partenariat en matière de sécurité. Le premier pilier porte sur le transfert de technologie et de savoir-faire sensibles en matière de sous-marins à propulsion nucléaire des États-Unis et du Royaume-Uni aux Australiens. Le deuxième pilier touche les capacités militaires avancées en cours d’élaboration par huit groupes de travail », peut-on lire dans une note d’information préparée par le Bureau du Conseil privé à l’intention du premier ministre.

« Le Canada souhaite participer au deuxième pilier du projet AUKUS, soit le développement conjoint de capacités militaires avancées », précise-t-on dans cette même note datée du 17 mars 2023. La Presse a récemment obtenu cette note d’information grâce à la Loi sur l’accès à l’information.

Outre la cybersécurité et l’intelligence artificielle, des groupes de travail du deuxième pilier de l’AUKUS se penchent sur les capacités sous-marines, les technologies quantiques, les capacités hypersoniques, la guerre électronique, l’innovation et le partage de renseignements, explique-t-on dans les documents.

Plusieurs passages des documents du Bureau du Conseil privé ont été caviardés, de sorte qu’il est impossible de savoir si le Canada s’est fixé un échéancier pour intégrer le deuxième pilier de l’alliance militaire.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

David Cohen, ambassadeur des États-Unis à Ottawa

Dans une récente entrevue accordée à La Presse, l’ambassadeur des États-Unis à Ottawa, David Cohen, a confirmé que le Canada avait signifié son désir de faire partie du deuxième pilier de l’AUKUS.

Le diplomate a aussi tenu à souligner qu’il est erroné d’affirmer que le Canada a été exclu de cette nouvelle alliance. Le Canada, a-t-il affirmé, n’a jamais exprimé le désir d’acheter des sous-marins nucléaires, comme l’Australie, et c’est le fondement même de cette nouvelle alliance.

« Le but de l’AUKUS est d’accélérer la capacité de l’Australie d’acquérir des sous-marins nucléaires. Le Canada n’a jamais exprimé le désir d’en acquérir. Mais il y a d’autres éléments qui intéressent le Canada. Le Canada soutient qu’il possède des technologies qui pourraient être utiles au deuxième pilier de l’AUKUS et veut en faire partie. Et la réponse des États-Unis est la suivante : quand nous arriverons au deuxième pilier, nous allons évaluer si l’on doit demander au Canada de se joindre à l’AUKUS. Il ne faut donc pas voir cela comme un élément négatif envers le Canada. Cela veut donc dire qu’en temps opportun, le Canada pourrait bien faire partie de l’AUKUS », a-t-il dit.

Il reste que l’an dernier, l’exclusion du Canada de cette nouvelle alliance entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie avait causé la consternation chez des experts en matière de défense et de sécurité au pays.

Plusieurs avaient alors affirmé que cela représentait une autre preuve que le Canada n’est pas considéré comme un partenaire sérieux par ses principaux alliés en matière de défense et de sécurité nationale, notamment quand il est question de contrer les ambitions militaires de la Chine dans la région indopacifique.

L’expert en matière de défense David Perry, de l’Institut canadien des affaires mondiales, avait alors souligné que les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie consacrent tous au moins 2 % de leur produit intérieur brut (PIB) à la défense, comme l’exigent les critères de l’OTAN, tandis que le Canada y consacre moins de 1,3 % de son PIB.

Ces trois pays ont également des plans ambitieux pour construire de nouveaux sous-marins. A contrario, le Canada ne s’est même pas encore engagé à remplacer les quatre navires de classe Victoria en difficulté de la Marine royale canadienne, sans parler de l’éventuel remplacement de sa flotte, avait souligné M. Perry dans une entrevue accordée à La Presse Canadienne.

« C’est un indicateur que même parmi certains de nos alliés les plus proches, on ne va pas continuer à nous inviter à des réunions comme par le passé, malgré notre expérience passée et notre histoire commune », avait estimé M. Perry.

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse