(Ottawa) L’annonce avait été télégraphiée par le ministre de l’Immigration Marc Miller : il avait maintes fois signalé qu’il ne voyait pas un scénario où l’immigration irait en décroissance. Il se dit à l’aise avec le plafonnement de la cible à 500 000 nouveaux arrivants, en précisant qu’une augmentation aurait, elle, été difficile à justifier.

Malgré les nombreuses déclarations publiques plaidant contre une réduction des seuils qu’il a fixés depuis son arrivée aux commandes du ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, le ministre assure qu’il a gardé un « esprit ouvert » tout au long du processus décisionnel.

« Je suis très à l’aise avec cette stabilité, et très honnêtement, je n’aurais pas été en mesure de justifier un accroissement compte tenu de ce que je vois », a-t-il affirmé en entrevue avec La Presse après le dévoilement du Plan des niveaux d’immigration pour 2024-2026.

« Je pense que la stabilité accomplit une couple de choses, notamment une certaine pause pour réexaminer nos différentes politiques publiques, pour mieux arrimer l’offre et la demande », a poursuivi celui qui est en poste depuis juillet dernier.

L’objectif demeure donc d’accueillir 485 000 nouveaux résidents permanents au pays en 2024, et 500 000 en 2025. Ce que le ministre a annoncé, mercredi, c’est en fait un gel de la hausse annuelle pour 2026, avec le maintien d’une cible de 500 000 nouveaux arrivants.

Le dévoilement des seuils, exercice annuel qui ne fait généralement pas énormément de vagues, était attendu de pied ferme cette année. C’est que la crise du logement qui frappe d’un bout à l’autre du pays a mis à mal la capacité d’accueil des nouveaux arrivants.

En même temps, la pénurie de main-d’œuvre fait dire à des regroupements du milieu des affaires qu’il faut accueillir davantage d’immigrants – notamment dans l’industrie de la construction, où il faut des paires de bras supplémentaires précisément pour bâtir ces logements manquants.

« Ces gens-là vont être ceux qui vont bâtir les maisons dont on a besoin. Ça peut ne pas sembler évident, mais si vous parlez aux syndicats, c’est la réalité à laquelle ils font face, que ce soit au centre-ville de Toronto ou de Montréal, ou en ruralité », a exposé Marc Miller.

Immigration économique

Le gouvernement continue à vouloir mettre l’accent à long terme sur la croissance économique, avec plus de 60 % des admissions de résidents permanents consacrés à la catégorie économique d’ici 2025, a-t-on indiqué dans le plan.

Le Conseil canadien des affaires a vite demandé à Ottawa de revoir cette cible à la hausse. « Les chefs d’entreprise continuent de réclamer que 65 % des nouveaux résidents permanents soient issus de la classe économique », a réagi son porte-parole Robert Asselin.

Sans fermer la porte à une révision à la hausse de cette cible, le ministre Miller a tenu à préciser que des pressions venaient aussi d’autres groupes, humanitaires, ceux-là, qui militent pour des mesures pour la réunification familiale.

Immigration francophone hors Québec

L’autre volet qui était suivi de près, celui de l’immigration d’expression française hors Québec, a suscité la déception des communautés francophones en situation minoritaire. L’augmentation d’un point de pourcentage de 6 %, à 7 %, puis à 8 % pour 2024, 2025 et 2026, respectivement, est considérée comme insuffisante.

C’est bien loin de répondre à la « cible réparatrice » de 12 % que réclamait la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA). Mais selon le gouvernement Trudeau, mieux vaut atteindre une cible réaliste que se fixer une cible chimérique.

« Ce qui me déçoit, c’est quand on se met des objectifs et qu’on ne les rencontre pas […] Je crois qu’il est tout à fait normal qu’on aille étape par étape, sinon on va se tirer dans le pied », a plaidé le Franco-Ontarien Francis Drouin avant l’annonce du ministre.

Parlant de déception, celle de la FCFA est « forte », a-t-on communiqué, mercredi. « Une cible de 6 %, ça nous maintient dans le déclin. À 8 %, on est à peu près dans la stabilité, mais certainement pas dans la croissance », a déploré sa présidente, Liane Roy.

Le Bloc critique, le Parti conservateur se tait

Le chef bloquiste Yves-François Blanchet a reproché au gouvernement Trudeau d’avoir trop peu consulté le gouvernement Legault, perpétuant cette coutume de « faire descendre vers des provinces vassales un chiffre qu’Ottawa a décidé tout seul ici au bord du canal Rideau ».

Au Parti conservateur, où la position en matière de cibles d’immigration demeure floue, on n’a pas voulu commenter le plan libéral dans l’immédiat. Plusieurs conservateurs ont ignoré les questions des journalistes à ce sujet, et aucune question portant sur ce thème n’a été posée en Chambre.

Le Nouveau Parti démocratique a réagi en anglais par la bouche de sa députée Jenny Kwan, qui a dénoncé le manque de « transparence » du plan libéral.

Immigration temporaire : vers un tour de vis ?

Si la nature de l’exercice de mercredi ne portait pas sur l’immigration temporaire, Ottawa envoie tout de même le signal qu’un « recalibrage » est dans les cartons. Car qu’ils soient étudiants internationaux ou travailleurs agricoles, ces immigrants « mettent une pression importante sur les soins de santé, sur les besoins en logement, etc. », a soutenu Marc Miller. « C’est un enjeu qui me préoccupe de plus en plus ; comme pays, on est devenu un peu accro aux travailleurs temporaires dans plusieurs domaines – évidemment, celui qui est très évident, c’est celui de l’agriculture », a-t-il expliqué.