(Ottawa) Le rapatriement d’une quarantaine des 61 diplomates canadiens en poste en Inde il y a une dizaine de jours pourrait empêcher le Canada d’atteindre ses cibles en immigration, conséquence directe des relations très tendues entre Ottawa et New Delhi.

C’est que depuis quelques années, l’Inde est la principale source d’immigrants du Canada. En 2022, le pays a accueilli un nombre record de 437 120 résidents permanents. Et de ce nombre, 118 085 immigrants venaient de l’Inde, soit 27 % du total.

La Chine arrivait au deuxième rang, mais loin derrière, avec 31 815 résidents permanents issus de ce pays, (soit 7,2 % du total), un autre pays avec lequel les relations sont loin d’être au beau fixe.

En 2021, les immigrants venant de l’Inde représentaient 32 % (127 933 immigrants) du total des résidents permanents qui avaient été acceptés au pays.

PHOTO DON MACKINNON, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le temple Guru Nanak Sikh Gurdwara à Surrey, en Colombie-Britannique, où Hardeep Singh Nijjar a été assassiné en juin dernier

Les relations entre les deux pays sont au plus bas depuis que le premier ministre Justin Trudeau a mis l’Inde au banc des accusés. Dans une déclaration à la Chambre des communes le 18 septembre, il a affirmé que le Canada détenait « des allégations crédibles » selon lesquelles des agents liés au gouvernement indien auraient joué un rôle dans l’assassinat d’un Canadien d’origine sikhe, Hardeep Singh Nijjar, en juin à Surrey, en Colombie-Britannique. New Delhi a nié ces accusations en affirmant qu’elles étaient « absurdes ».

Hardeep Singh Nijjar était accusé de complot pour meurtre et de terrorisme en Inde. Il aurait fait l’objet de menaces de mort en raison de son soutien à un État sikh indépendant du Khalistan, en Inde.

« Nos effectifs ont été réduits »

L’an dernier, le Canada s’est donné comme objectif d’accueillir 465 000 nouveaux résidents permanents cette année, 485 000 en 2024 et 500 000 en 2025. Le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Marc Miller, doit soumettre au Parlement, au plus tard le 1er novembre, le plan pluriannuel des niveaux d’immigration de 2024-2026.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Marc Miller

Le ministre Miller a indiqué à La Presse qu’il s’attend à ce que les tensions entre l’Inde et le Canada, si elles ne s’apaisent pas, affectent la capacité d’évaluer le traitement des demandes d’immigration en provenance de ce pays.

La semaine dernière, le Canada a été contraint de réduire considérablement sa présence diplomatique en Inde, signe indéniable que les tensions entre Ottawa et New Delhi sont loin de s’apaiser. Plusieurs des employés canadiens traitaient les demandes d’immigration.

Les principales sources d’immigrants pour le Canada en 2022

  1. Inde (118 095 immigrants) – 27 %
  2. Chine (31 815 immigrants) – 7,2 %
  3. Afghanistan (23 735 immigrants) – 5,4 %
  4. Nigeria (22 085 immigrants) – 5,05 %
  5. Philippines (22 070 immigrants) – 5,04 %
  6. France (14 145 immigrants) – 3,2 %
  7. Pakistan (11 585 immigrants) – 2,6 %
  8. Iran (11 105 immigrants) – 2,5 %
  9. États-Unis (10 400 immigrants) – 2,3 %
  10. Syrie (8500 immigrants) – 1,9 %

« C’est sûr que notre capacité de traiter les demandes va être affectée. On prévoyait traiter environ 38 000 demandes d’immigration [de l’Inde] d’ici décembre. On va pouvoir en traiter uniquement 20 000, soit près de la moitié. Nos effectifs ont été réduits », a confirmé le ministre Miller, soulignant aussi que l’Inde est une source d’immigrants importante.

« C’est une situation qui évolue. Il y a un différend diplomatique fort important entre le Canada et l’Inde pour l’instant. Nous allons faire de notre mieux pour traiter les demandes dans la mesure du possible. Évidemment, au cours des dernières années, on a pu augmenter notre capacité de faire des choses à l’étranger, en dehors de l’Inde. Mais il y a des choses que l’on doit faire en personne. »

La pire chose qui pourrait arriver, ce serait d’affecter la vie des gens qui veulent venir au Canada ou qui ont le droit d’y rester.

Marc Miller, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté

Au sujet des cibles en matière d’immigration, M. Miller a affirmé que le gouvernement n’a pas encore arrêté une décision quant au fait qu’il doive ou non revoir ses objectifs. « Les cibles ont été annoncées [pour 2024 et 2025]. Est-ce qu’il y a lieu de les remanier un tout petit peu ? C’est une question qui n’est pas encore arrêtée », a-t-il dit.

41 diplomates ramenés au pays

En tout, le gouvernement Trudeau a dû ramener au pays 41 des 62 diplomates canadiens qui étaient en fonction en Inde parce qu’ils risquaient de se voir retirer leur immunité diplomatique – ce qui aurait pu mettre en danger leur sécurité et celle de leurs familles.

Le gouvernement indien exigeait qu’Ottawa réduise la taille de la représentation canadienne en Inde de manière qu’elle soit comparable à celle que maintient New Dehli au Canada.

À la surprise générale, le Haut Commissariat de l’Inde au Canada a annoncé la semaine dernière que les responsables reprendraient le traitement de certains types de demandes de visa à Ottawa et dans les consulats de Toronto et de Vancouver (visas d’affaires, visas médicaux et visas pour des conférences, ainsi que les demandes des personnes qui ont des liens familiaux en Inde).

New Delhi avait suspendu il y a un mois ces services dans les bureaux indiens au Canada et pour les citoyens canadiens ailleurs dans le monde.

avec la collaboration de William Leclerc, La Presse