(Québec) Affrontant moult critiques, Ian Lafrenière entrouvre la porte à la reconnaissance de la discrimination systémique envers les Premières Nations. Le ministre affirme être en « réflexion » depuis les consultations houleuses sur le projet de loi visant à introduire la sécurisation culturelle en santé.

Le ministre responsable des Premières Nations et des Inuit a franchi ce pas en marge des commémorations sur le mort tragique de Joyce Echaquan. Le 28 septembre 2020, l’Atikamekw de Manawan mourait sous une pluie d’insultes racistes du personnel soignant de l’Hôpital de Joliette. L’Assemblée nationale lui a rendu hommage jeudi.

« Je me pose encore des questions, je suis très honnête avec vous. Je me pose encore des questions, j’ai entendu les groupes. Alors on est dans un moment de réflexion », a expliqué le ministre Lafrenière, questionné directement sur la possibilité de reconnaître l’existence de la discrimination systémique à l’égard des Premières Nations dans les services de santé.

Il a parlé ensuite de « réflexions d’ordre général » à la suite des consultations particulières sur le projet de loi 32 qui vise à instaurer la sécurisation culturelle dans le réseau de la santé et des services sociaux. Appelé à préciser de nouveau sa pensée, M. Lafrenière a affirmé qu’il était en « réflexion sur tout ce qui a été dit » lors des travaux parlementaires en septembre, ce qui inclut le débat sur la discrimination systémique.

Je suis en réflexion sur tout ce qui a été dit et je veux être très transparent. J’ai entendu des gens pendant deux jours. Je ne suis pas revenu au Salon bleu avec le projet de loi [parce que] j’ai pris un temps de recul. Je suis en analyse de tout ça.

Ian Lafrenière, ministre responsable des Premières Nations et des Inuit

Or, des groupes comme le Collège des médecins et le Bureau du Principe de Joyce (qui a claqué la porte de la commission parlementaire) ont demandé à Québec de reconnaître l’existence du racisme systémique. D’autres, comme le Protecteur du citoyen et la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), lui recommandent d’adopter le Principe de Joyce, qui reconnaît le racisme systémique.

Invité en commission parlementaire, l’ex-juge Jacques Viens, qui a présidé la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec, a d’ailleurs indiqué à M. Lafrenière que ses efforts seront constamment minés s’il ne reconnaît pas « la base du problème ». M. Viens a conclu en 2019 que les Autochtones sont victimes de discrimination systémique dans les services publics du Québec.

« J’ai entendu plusieurs versions, des gens parler de discrimination systémique, d’autres de racisme systémique. Je vous dis que présentement, notre position demeure la même. Mais j’ai bien entendu les gens et c’est pour ça qu’on est en réflexion pour le projet de loi dans son entier », a exprimé M. Lafrenière, jeudi.

Ce n’est pas la première fois que le gouvernement Legault réfléchit à reconnaître la discrimination systémique à l’égard des Premières Nations. Peu après le décès de Mme Echaquan alors que le gouvernement se trouvait sous pression, en octobre 2020, La Presse révélait qu’il y avait une certaine ouverture au sein du gouvernement d’aller de l’avant avec une telle reconnaissance, en s’« appuyant sur le rapport Viens.

La notion de racisme systémique, quant à elle, est toujours rejetée par le gouvernement. À preuve, lors des discours en mémoire de Joyce Echaquan, jeudi, le député libéral de l’Acadie André A. Morin a exhorté le gouvernement à « reconnaître le problème à sa source, soit celui du racisme systémique ». Les députés caquistes se sont alors gardés d’applaudir après son allocution, comme ils venaient pourtant de le faire pour la leader solidaire, Manon Massé.

Hommage à Joyce Echaquan

Chaque parti politique a pris la parole pour commémorer la mémoire de Mme Echaquan jeudi, au Salon bleu. La coporte-parole de Québec solidaire, Manon Massé, a déposé une motion – adoptée à l’unanimité – pour que l’Assemblée nationale « reconnaisse que les personnes des Premières Nations et des Inuit ont le droit d’avoir un accès équitable, sans aucune discrimination, à tous les services sociaux et de santé, ainsi que le droit de jouir du meilleur état possible de santé physique, mentale, émotionnelle et spirituelle ».

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Veillée en mémoire de Joyce Echaquan à la Place Émilie-Gamelin

« Ça fait trois ans aujourd’hui, le 28 septembre, que le Québec aura perdu une femme courageuse, une femme qui a tenté par tous les moyens, jusqu’à son dernier souffle, de nous rappeler qu’on peut agir pour changer les choses. Et je dirais surtout qu’on doit agir pour changer les choses », a souligné Mme Massé. « Il y a beaucoup d’eau qui a coulé sous les ponts depuis trois ans, mais malgré tout, il reste beaucoup à faire. »

Le ministre Lafrenière a évoqué une « journée qui est lourde de sens ».

« C’est une journée de commémoration, une journée pour se rappeler Joyce. Mes premières paroles sont pour les proches de Joyce, pour son conjoint Carol, pour les enfants, pour la grande communauté de Manawan. Tout le Québec est avec eux. Voilà trois ans, ça a été un électrochoc. Ça, ça a réveillé beaucoup de gens sur cette réalité-là. Il y a des choses qui ont été changées. Il y a du chemin qui a été fait, mais ce n’est vraiment pas terminé. Ce n’est pas parfait, ce n’est pas terminé », a-t-il dit à son arrivée au Parlement.