(Québec) François Legault défend sa décision de hausser le salaire des députés d’au moins 30 000 $, pour permettre aux jeunes politiciens de gagner « le plus d’argent possible » pour donner à leurs enfants.

« Un père de famille, un jeune père ou une mère de famille a le droit d’aller gagner le plus d’argent possible pour donner le plus possible à ses enfants. C’est comme ça que je vois la vie », a lancé le premier ministre lors d’un échange vigoureux avec le chef parlementaire de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, qui s’oppose à cette mesure.

Son whip, Éric Lefebvre, affirme de son côté que sa charge de travail est telle qu’il ne peut se permettre de voir sa mère qu’une fois par année, a-t-il dit pour justifier cette hausse lors de son discours pour l’adoption du principe du projet de loi 24 qui viendra confirmer cette hausse.

Le projet de loi, porté par le ministre Simon Jolin-Barrette, fait passer de 101 561 $ à 131 766 $ l’indemnité de base des députés. C’est une hausse de 30 % (30 000 $), à laquelle s’ajoute une majoration des primes liées aux fonctions parlementaires. Plutôt que 30 000 $, un adjoint parlementaire aura donc une hausse de 36 000 $ et un ministre, de 52 000 $, par exemple. L’ensemble des élus de la Coalition avenir Québec a des fonctions parlementaires. Le Parti libéral est également favorable à la mesure.

« Rémunération compétitive »

Québec solidaire s’y oppose cependant et estime que cette hausse salariale provoque du cynisme dans la population, alors que le gouvernement du Québec est beaucoup moins généreux avec les employés du secteur public.

En chambre, le premier ministre a expliqué qu’il se basait sur les constats d’un rapport indépendant signé notamment par deux ex-élus, Martin Ouellet (PQ) et Lise Thériault (PLQ), et qui a recommandé cette hausse salariale importante. Elle permettra de « s’assurer qu’on va être capable de continuer de recruter les personnes de tous les milieux pour devenir député au Québec », et pas « nécessairement des personnes qui ont déjà fait leur argent dans le privé ».

Je pense entre autres à un jeune père de famille qui veut offrir le plus possible à ses enfants. Je pense que c’est normal qu’on offre une rémunération compétitive avec ce qu’[il] pourrait avoir au public ou au privé. Pourquoi un père de famille ne serait pas capable d’aller gagner le plus possible pour ses enfants, pourquoi ?

François Legault, premier ministre du Québec

M. Legault reproche à Québec solidaire d’avoir refusé de participer aux travaux du comité, et de faire aujourd’hui la « leçon » aux autres élus. M. Nadeau-Dubois a répliqué que le comité était « biaisé » et avait un mandat « écrit d’avance » par la CAQ.

Furieux, François Legault a quitté le Salon bleu après la période de questions en lançant à M. Nadeau-Dubois qu’il disait « n’importe quoi ».

Trop occupé

Plus tôt en journée, le whip caquiste Éric Lefebvre avait justifié cette hausse salariale en faisant valoir les sacrifices personnels qu’il faisait en raison de son travail.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le whip caquiste Éric Lefebvre (à gauche)

« À Noël, cette année, ma mère, qui est fière du travail que je fais… mais je l’ai sentie triste, et elle m’a dit : “Éric, te rends-tu compte qu’on s’est vus une fois dans l’année ?” On s’est vus une fois dans l’année. J’ai 17 municipalités dans mon comté et je dois avoir à peu près l’équivalent de 17 clubs des FADOQ. Les gens des clubs des FADOQ, je les vois trois, quatre ou cinq fois par année, ma propre mère, une fois », a dit M. Lefebvre.

L’élu caquiste a ajouté qu’il n’a « plus d’amis qui [l]’appellent la fin de semaine pour souper » puisqu’ils savent qu’il n’est pas disponible. « Il n’y a plus aucun de mes amis qui m’appellent pour faire des activités parce qu’ils savent que j’en ai dans mon comté », a-t-il ajouté.

Il s’est donc rabattu à faire, une fois par année, une fête d’excuses, le 26 décembre. « Je réunis tous mes amis chez moi, de toutes amitiés confondues, pour m’excuser à mes amis de mon absence durant toute l’année parce que je ne les vois plus. Puis, si je n’entretiens pas cette amitié-là une fois par année, le 26 décembre, bien, je vais perdre cette amitié-là », a-t-il déploré.

QS en mission

Pour s’opposer au projet de loi, Gabriel Nadeau-Dubois a affirmé en journée qu’il prendrait « tous les moyens » à sa disposition pour que « cette hausse ne passe pas ». Il a précisé que son équipe va « travailler très fort au Salon bleu » et en commission parlementaire, et qu’il allait présenter des amendements, en prenant tout le temps qui lui était permis.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

« On va continuer à travailler très fort et on va prendre tous les moyens à notre disposition pour que cette hausse-là ne passe pas », a expliqué Gabriel Nadeau-Dubois.

Le chef parlementaire de QS estime toutefois qu’il ne peut à lui seul empêcher l’adoption du projet de loi. Le Parti libéral du Québec y est favorable et aucun groupe ne sera entendu en commission parlementaire, ce qui ouvre la voie à une adoption rapide.

« Dans le livre des règlements, là, il n’y a pas de règlement qui nous permet, nous, en ce moment, d’empêcher l’adoption du projet de loi. Malheureusement. S’il y en avait un, on l’utiliserait », a dit M. Nadeau-Dubois. M. Legault a rétorqué qu’il a bon espoir que le gouvernement sera « capable de voter ça », mais n’a pas exclu l’usage du bâillon parlementaire si c’était nécessaire. « On n’est pas rendus là », a-t-il dit en mêlée de presse.