Les visites officielles de chefs d’État – comme celle que s’apprête à faire Joe Biden au Canada – sont « de la plus haute importance ». Et c’est encore plus le cas avec les présidents des États-Unis, affirme l’ancien premier ministre du Canada, Brian Mulroney, en entrevue à La Presse.
« C’est plus vrai pour les présidents américains, parce que les États-Unis et le Canada sont liés par des dossiers importants, dit l’ancien premier ministre. Le temps du président des États-Unis est très précieux. Il y a quelque 200 chefs d’État aux Nations unies et ils veulent tous le rencontrer. »
Au cours de ses neuf années à la tête du pays, de 1984 à 1993, Brian Mulroney a accueilli les présidents Ronald Reagan, George Bush père et Bill Clinton. Ces derniers sont passés par Ottawa, Québec, Toronto et Vancouver.
De toutes ces rencontres, le Shamrock Summit tenu les 17 et 18 mars 1985 à Québec a marqué les esprits. M. Mulroney, premier ministre en poste depuis six mois, accueillait Ronald Reagan qui entamait son deuxième mandat.
Le titre du sommet réfère aux origines irlandaises des deux hommes, désireux de décloisonner les barrières tarifaires des échanges économiques, qui ont ouvert la voie au traité de libre-échange.
« Certains prétendent que ces visites constituent une perte de temps. Mais ils ne connaissent strictement rien de la réalité internationale, argue M. Mulroney. Le traité de libre-échange a eu pour effet de créer le commerce international le plus important entre deux pays dans l’histoire du monde. »
Dans la foulée, ce traité a mené à celui de l’ALENA, qui inclut le Mexique. « Cela a transformé l’économie du Canada », poursuit M. Mulroney qui affirme que l’entente a « créé des millions d’emplois pour les citoyens des trois pays ».
Pas les mains vides
Des rencontres comme celle des 23 et 24 mars entre MM. Trudeau et Biden donnent l’occasion de régler des dossiers importants, assure Brian Mulroney.
Je ne suis plus dans le secret des dieux, mais il y a sans doute des dossiers épineux entre les deux pays, et certains seront réglés parce que le président Biden n’arrivera pas les mains vides.
Brian Mulroney
Évidemment, ces rencontres sont précédées de longues préparations dans chacune des capitales et de discussions entre hauts fonctionnaires et ministres. Mais lorsque le président parle, les choses bougent, croit l’ancien premier ministre canadien.
« Quand le président dit, devant ses ministres et subalternes, “I want this done for Canada”, “I want this done for Brian” ou “I want this done for Justin”, cela a pour effet de galvaniser la haute fonction publique et les ministres », dit-il.
Brian Mulroney décrit Joe Biden, qu’il dit avoir rencontré il y a 40 ans, comme un « excellent bonhomme, d’un commerce agréable ». « Je pense que lui et Justin Trudeau ont une bonne relation, poursuit-il. Ils sont idéologiquement dans le même tableau, au centre gauche. M. Biden connaît bien le Canada et il va vouloir poser des gestes d’amitié. Ce sera selon moi une bonne visite, ce qu’on appelle une visite féconde. »
Quand les présidents américains visitent le Canada
La visite du président des États-Unis Joe Biden au Canada, les 23 et 24 mars, survient 100 ans après le tout premier évènement du genre. Rappel de quelques visites présidentielles, officielles, de travail, informelles ou même pour des vacances.
William Taft
Warren Harding fut le premier président en fonction à visiter le Canada (voir capsule suivante), selon le département d’État américain. Mais un de ses prédécesseurs, le républicain William Howard Taft, a plusieurs fois séjourné dans Charlevoix avant et après sa présidence (1909-1913). Sa famille y a fait construire une résidence d’été et M. Taft fut président du club de golf de Murray Bay. On ne sait pas si M. Taft est venu à La Malbaie durant sa présidence. « S’il est venu, c’est rarement, pour des raisons de sécurité », dit Serge Gauthier, président de la Société d’histoire de Charlevoix. En 2015, La Malbaie a rebaptisé un segment de la rue Richelieu pour lui donner le nom de côte Taft.
Warren G. Harding
À l’été 1923, le républicain Warren G. Harding, 29e président des États-Unis, quitte Washington pour un long voyage. Son administration est minée par les scandales, sa santé est mauvaise. Harding fait une tournée de plusieurs villes de l’Alaska avant de s’arrêter à Vancouver le 26 juillet. Il devient alors le premier président américain en fonction à visiter le Canada. À Vancouver, il préside un dîner en son honneur, joue au golf et s’adresse à la foule à Stanley Park. Il prend ensuite la direction de la Californie. Une semaine plus tard, il meurt d’une crise cardiaque à San Francisco.
Franklin Delano Roosevelt
« Franklin Roosevelt est venu à deux reprises à Québec, 1943 et 1944, pour parler de la Seconde Guerre mondiale avec Winston Churchill », rappelle Rafaël Jacob, chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques. Reçus par le premier ministre canadien William Lyon Mackenzie King, les deux hommes d’État ont plusieurs rencontres et conférences à la Citadelle et au Château Frontenac, du 17 au 24 août 1943. Ils préparent entre autres le débarquement de Normandie, dont une série de plans sont oubliés dans un salon, comme l’a raconté le quotidien Le Soleil. Une deuxième conférence Roosevelt-Churchill a lieu en septembre 1944.
Dwight D. Eisenhower
Le président Eisenhower s’arrête au Québec le 26 juin 1959, à l’occasion de l’inauguration de la Voie maritime du Saint-Laurent, où il accompagne la reine Élisabeth II à bord du yacht Britannia. Embarqués à Saint-Lambert, Ike et sa femme Mamie descendent à l’écluse de Beauharnois où ils sont accompagnés du premier ministre canadien John Diefenbaker. Ils prennent un hélicoptère les conduisant ensuite à l’aéroport de Saint-Hubert. De là, ils prennent l’avion présidentiel et retournent à Washington. Selon l’agenda présidentiel que La Presse a consulté, Eisenhower est allé jouer une ronde de golf en arrivant à la maison.
Lyndon B. Johnson
Le 25 mai 1967, alors que la tension est vive au Moyen-Orient (la guerre des Six Jours débutera le 5 juin), le président Lyndon B. Johnson fait une courte visite au Canada. Il s’arrête d’abord à Montréal pour visiter le pavillon des États-Unis à Expo 67. Johnson s’envole ensuite pour Ottawa, afin de rencontrer Lester B. Pearson. « J’ai consulté le premier ministre au sujet des problèmes du Moyen-Orient qu’il connaît si bien [Pearson avait obtenu le prix Nobel de la paix en 1957 pour son rôle dans la crise du canal de Suez] et nos entretiens ont été fructueux », lance Johnson, de retour à Washington en fin d’après-midi.
Ronald Reagan
« Le traité de libre-échange a pris naissance au Château Frontenac », assure l’ancien premier ministre canadien Brian Mulroney en évoquant la visite de Ronald Reagan à Québec les 17 et 18 mars 1985. M. Mulroney était premier ministre depuis six mois et Ronald Reagan entamait son deuxième mandat. « Cette visite a aussi marqué le début du traité sur les pluies acides, rappelle M. Mulroney. Nous avons aussi adopté de nouvelles mesures pour la souveraineté de l’Arctique. »
Bill Clinton
La visite d’État de Bill Clinton, les 23 et 24 février 1995, à Ottawa, survient à un moment de grandes tensions dans la politique canadienne. Le Bloc québécois, qui forme l’opposition officielle, se prépare activement à la tenue d’un deuxième référendum (30 octobre 1995). Son chef Lucien Bouchard, victime de la bactérie mangeuse de chair, revient tout juste d’une longue convalescence. C’est le premier ministre Jean Chrétien qui accueille M. Clinton. Ce dernier s’adressa aux membres du Parlement.
Barack Obama
L’obamania gagne la capitale canadienne lorsque le 44e président des États-Unis visite le premier ministre Stephen Harper, le 19 février 2009. Assermenté le 20 janvier 2009, M. Obama honore ainsi la tradition de réserver la première visite présidentielle au Canada. Des milliers de personnes se sont massées près de la colline parlementaire, barricadée et sous haute surveillance, dans l’espoir de l’apercevoir. Avant de retourner à Washington, M. Obama va acheter une queue de castor et des biscuits au Marché By.
Venus, pas venus
Selon la liste du département d’État américain, les présidents Truman, Kennedy, Nixon, Bush père, Bush fils et Trump ont aussi visité le Canada durant leur mandat. Les présidents Ford et Carter ne sont pas venus.