L’instauration d’une majorité numérique a déjà été tentée par plusieurs États à travers le monde avec, jusqu’ici, plus ou moins de succès. Comment vérifier l’âge des nouveaux utilisateurs ? Et, surtout, quels sont les effets d’une telle mesure ? Des experts se prononcent sur l’idée qui sera débattue au prochain conseil général de la Coalition avenir Québec.

Existe-t-il des exemples récents ?

La Floride a récemment adopté un projet de loi interdisant aux mineurs de moins de 14 ans d’ouvrir un compte sur les réseaux sociaux. Or, plusieurs critiques estiment que le texte législatif, considéré comme une des mesures les plus sévères vis-à-vis de ces plateformes numériques, ne résistera pas à une contestation constitutionnelle puisqu’il porterait atteinte aux droits des jeunes de l’État. Ses partisans s’attendent plutôt à ce qu’il passe le test des tribunaux puisqu’il interdit les réseaux sociaux sur la base de leurs caractéristiques addictives, telles que les alertes de notification et les vidéos en lecture automatique, plutôt que sur la base de leur contenu.

Est-ce que ça fonctionne à tout coup ?

L’Utah, l’un des États américains qui est allé le plus loin en la matière, a récemment dû faire marche arrière devant des poursuites entamées par les géants du web. Une loi qui devait obliger les utilisateurs de moins de 18 ans à obtenir l’autorisation de leurs parents pour s’y inscrire a dû être modifiée pour en retirer certains éléments, dont cette obligation. La nouvelle version du texte législatif force tout de même les réseaux sociaux à vérifier l’âge de leurs utilisateurs et vise à limiter les types de comptes avec lesquels les mineurs peuvent envoyer des messages ou partager des contenus. En Arkansas, un juge fédéral a aussi bloqué en août dernier l’application d’une loi qui exigeait le consentement des parents pour que les mineurs puissent créer de nouveaux comptes de réseaux sociaux.

Mais comment vérifier l’âge des utilisateurs ?

C’est là un des principaux problèmes éprouvés dans les législations où une telle limite d’âge a été imposée. En France, par exemple, depuis le 7 juillet dernier, un mineur de moins de 15 ans doit obtenir l’autorisation de ses parents s’il souhaite se créer un compte sur un réseau social. Mais la loi n’est pas encore réellement appliquée faute de moyen pour vérifier l’âge des utilisateurs. Parmi les solutions évoquées : la présentation d’une pièce d’identité ou encore l’utilisation de la reconnaissance faciale ou de données biométriques. Or, ces méthodes posent de sérieux enjeux de confidentialité, souligne la professeure associée à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) Laurence Grondin-Robillard. « Elles vont être stockées où, ces données ? Parce qu’elles doivent être stockées. Est-ce qu’on fait 100 % confiance à ces plateformes ? Je ne crois pas, surtout pas avec des données de mineurs », dit-elle.

Le Québec pourrait-il s’inspirer de ces exemples ?

La voie semble difficile, d’autant que le Québec, comme province, a peu de contrôle sur les entreprises derrière les réseaux sociaux, estime Laurence Grondin-Robillard.

PHOTO FOURNIE PAR LAURENCE GRONDIN-ROBILLARD

La professeure associée à l’École des médias de l’UQAM Laurence Grondin-Robillard

Au Canada, on n’a jamais vraiment eu ce contrôle sur les réseaux sociaux, au contraire, on se fait un peu mener par le bout du nez.

Laurence Grondin-Robillard, professeure associée à l’École des médias de l’UQAM

La chercheuse cite l’exemple du projet de loi C-18 et du refus des géants du web de se plier aux demandes d’Ottawa et de verser une compensation aux médias canadiens pour l’utilisation de leur contenu, raison pour laquelle il n’y a plus de nouvelles sur les plateformes de Meta.

Les jeunes vont-ils trouver des façons de contourner ces mesures ?

Pour la chargée de cours et doctorante à la faculté de communication de l’UQAM Nina Duque, cela ne fait aucun doute. « Les réseaux sociaux sont ancrés dans les pratiques des jeunes. Ce n’est pas en leur interdisant l’accès qu’on va enlever la pratique, parce qu’elle est là », insiste-t-elle. Elle rappelle qu’une limite d’âge est déjà fixée à 13 ans sur plusieurs plateformes, dont Facebook, ce qui n’empêche pas les plus jeunes de s’y inscrire pour autant.

Et, au bout du compte, empêcher les moins de 16 ans d’accéder aux réseaux sociaux est-il si bon pour leur bien-être ?

Le discours de certains politiciens à ce sujet ne laisse aucune place à l’interprétation. Les réseaux sociaux « tuent nos enfants », a déclaré le gouverneur de l’Utah, Spencer Cox, en mars 2023. Or, les données scientifiques à ce sujet sont loin d’être aussi tranchées. Des recherches menées chez des jeunes en Europe sur leur utilisation des réseaux sociaux n’ont pas permis de conclure à un effet négatif, souligne Nina Duque. « Ce sont les mêmes discours que nous avions avec la télévision dans les années 1970, comme quoi elle allait ruiner toute une jeunesse », affirme-t-elle. « En 2024, empêcher un jeune d’être sur les réseaux sociaux, c’est lui amputer toute une partie de sa sociabilité », insiste la chercheuse. « On s’imagine qu’en enlevant les réseaux sociaux, tout d’un coup, les kids vont être bien. Plus d’anorexie, plus de dépression. Mais c’est tout à fait faux. C’est la société plus large qui nous renvoie ces problèmes-là. »