Le premier véritable espoir de la jeune femme de survivre au cauchemar qu’elle a enduré dans la bande de Gaza est né la nuit même où elle était certaine qu’elle et sa famille allaient être tuées.

À la fin de l’année dernière, le Canada avait promis qu’il aiderait à faire sortir du territoire assiégé les membres des « familles élargies » de ses citoyens. Mais le mois dernier, les retards ont enlevé à la femme de 20 ans tout espoir que le gouvernement canadien aiderait un jour sa famille à quitter ce territoire en guerre.

Au fil des semaines, elle et ses proches ont vécu sous des bombardements quasi constants, a-t-elle expliqué. Les jours où ils ne trouvaient pas de nourriture en conserve, les adultes de la famille choisissaient de se priver pour que les enfants puissent manger.

À la mi-février, le vent a tourné. Son nom et ceux des membres de sa famille figuraient sur une liste de personnes autorisées à traverser la frontière avec l’Égypte, à Rafah. Mais le gouvernement canadien n’est pas impliqué dans l’élaboration de cette liste.

Dans un geste désespéré, la famille de la jeune femme au Canada a versé plus de 70 000 $ à une entreprise privée pour négocier leur sortie avec les responsables égyptiens et israéliens. Cette nouvelle a fait littéralement sauter de joie sa famille ce soir-là.

Mais quelques heures plus tard, la peur régnait, alors que la région de Rafah, considérée comme le dernier endroit relativement sûr du territoire, était frappée par un bombardement massif de frappes aériennes israéliennes.

Les portes et fenêtres du studio où la jeune femme dormait, aux côtés de 40 femmes et enfants, ont été arrachées. Lorsque le soleil a commencé à se lever, la famille a rassemblé le peu qu’elle avait et s’est dirigée prudemment vers la frontière.

L’idée qu’elle abandonnait sa vie derrière elle ne lui a semblé réelle que lorsqu’elle était dans un autobus. Ensuite, ils recommenceraient tous au Canada, qui allait certainement délivrer un visa à sa famille, maintenant qu’ils s’étaient échappés. C’est du moins ce qu’elle croyait.

« Nous pensions que le seul problème serait de sortir de Gaza, et ensuite ce serait facile », a confessé la jeune femme en arabe, par l’intermédiaire d’un interprète. La Presse Canadienne a accepté de ne pas l’identifier par crainte de représailles de la part des autorités égyptiennes ou canadiennes.

« Notre seul espoir est d’aller au Canada », a-t-elle imploré. Mais cet espoir semble presque vain. Elle et le reste de sa famille n’ont pas eu de nouvelles du gouvernement canadien au sujet des visas, alors que leur statut légal en Égypte est sur le point d’expirer, dans quelques jours.

Pendant ce temps, les membres de la famille ne peuvent pas travailler ni avoir accès à des soins médicaux. Ils sont entièrement pris en charge par leurs proches à l’étranger, qui ont déjà payé des sommes énormes pour les mettre hors de danger.

Ils se sentent trahis 

Cette incertitude a fait que les Canadiens se sentent trahis par les autorités. « Ils nous ont trompés », a déclaré la tante de la femme, qui vit au Canada et œuvre pour mettre ses proches en sécurité depuis le déclenchement de la guerre le 7 octobre. La Presse Canadienne a accepté de ne pas l’identifier non plus, pour protéger la famille.

Elle a expliqué que le ministère de l’Immigration imposait des frais pour postuler au programme annoncé par Ottawa en décembre, mais elle n’a pas vu grand-chose qui démontrerait que le Canada a fait quelque chose pour réellement aider sa famille. « Il y a un grand point d’interrogation quant au niveau d’effort que le Canada consacre à ce programme, a-t-elle déclaré. Ils ne font que trouver des excuses. »

Le gouvernement a lancé en janvier un programme visant à offrir des visas temporaires à un millier de Palestiniens de la bande de Gaza qui ont de la famille élargie au Canada, à condition que leurs familles les soutiennent à leur arrivée au pays.

Le ministre fédéral de l’Immigration, Marc Miller, a exprimé sa frustration face à l’impuissance du Canada à faciliter le passage des personnes autorisées vers l’Égypte. Il n’a pas immédiatement répondu à une demande de commentaires sur les retards subis par les personnes qui ont réussi à s’échapper par leurs propres moyens.

Le gouvernement ne veut pas révéler combien de personnes ont postulé au programme, qui offre un refuge temporaire aux parents, grands-parents, frères et sœurs et petits-enfants de citoyens canadiens et de résidents permanents. Les conjoints et les enfants de ces membres de la famille élargie sont également admissibles.

Au 4 mars dernier, 986 demandes avaient été acceptées. Seules 12 de ces personnes ont quitté Gaza, terminé le processus de sélection et ont été autorisées à venir au Canada, a anonncé Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada dans une déclaration écrite.

La guerre a chassé de leurs foyers 80 % des 2,3 millions de Palestiniens de la population de Gaza, et les responsables des Nations unies affirment qu’un quart de la population meurt de faim.

Pas tous les mêmes moyens financiers 

Debbie Rachlis, avocate spécialisée en droit de l’immigration basée à Toronto, affirme qu’elle représente au moins 50 Palestiniens en Égypte qui ont réussi à s’échapper sans l’aide du Canada et qui attendent un visa canadien. Elle soutient qu’une centaine de cas similaires sont traités par d’autres avocats.

« Ce qui est déchirant, ce sont tous ceux qui ne pourront pas sortir parce que les membres de leur famille n’ont pas les moyens ou n’ont pas ce genre de relations », a déclaré MRachlis.

Par ailleurs, les personnes qui sont parties avant d’avoir terminé le processus de candidature au Canada craignent de ne plus être admissibles au programme, a-t-elle déclaré.

Rani Hemaid a payé des milliers de dollars à une entreprise privée pour ce qu’il décrit comme des pots-de-vin afin de faire sortir ses parents, son frère, ses nièces et ses neveux de Gaza vers Le Caire, en décembre, où ils sont maintenant à court d’argent et espèrent recevoir des nouvelles du gouvernement canadien.

Puisqu’ils sont sortis avant l’ouverture du programme de visa du Canada, il n’est pas clair s’ils sont toujours admissibles, a déploré M. Hemaid.

Dans la ville de Gaza, sa sœur, son mari et leurs cinq enfants attendent également, car ils sont constamment menacés par les frappes militaires et la famine, a déclaré M. Hemaid. Son neveu Yamin n’a que 10 ans et a une jambe cassée qui ne peut pas être soignée, car il n’y a plus d’hôpitaux encore debout, a-t-il indiqué.

« Nous constatons, en tant que Canadiens palestiniens, que le gouvernement canadien nous a arnaqués et nous a trompés, a soutenu M. Hemaid. Ils ne se soucient pas de nous. »