(Washington) La relation entre le Canada et le Mexique a longtemps été le maillon faible du « triangle nord-américain », et des experts en politique étrangère affirment qu’il sera essentiel de renforcer ces liens si le continent veut réaliser son véritable potentiel économique.

Le sénateur canadien Peter Boehm, qui a déjà été sous-ministre aux Affaires étrangères et ambassadeur du Canada, était l’un des participants des trois pays, vendredi, à une table ronde virtuelle pour dresser un bilan du sommet des dirigeants nord-américains de la semaine dernière, à Mexico.

« La relation (trilatérale) est essentiellement caractérisée, à mon avis, par un triangle isocèle », a illustré M. Boehm : les deux côtés plus longs et égaux représentent les liens les plus importants et de longues dates que les États-Unis entretiennent avec leurs deux voisins les plus proches.

« Et puis, ce côté très court représente la relation Mexique-Canada, qui doit se développer, selon moi. Et elle peut se développer de plusieurs façons », a-t-il soutenu lors de cette table ronde organisée par l’Americas Society et le Conseil des Amériques.

Le sommet de Mexico a révélé plusieurs secteurs où ce rapprochement se produit déjà, a déclaré Louise Blais, diplomate canadienne à la retraite, qui est maintenant conseillère principale au Conseil canadien des affaires et diplomate en résidence à l’Université Laval.

Mme Blais, qui était à Mexico pendant le sommet, a déclaré vendredi que le président mexicain, Andrés Manuel López Obrador, avait surpris la délégation canadienne en faisant écho au sentiment que les trois pays seraient plus forts s’ils étaient mieux en mesure de fonctionner comme une seule entité nord-américaine.

Sa position sur ce front n’était « pas quelque chose qui avait été vraiment clarifié, surtout pas pour la communauté des affaires au Mexique », a déclaré Mme Blais. « On sent qu’il y croit vraiment. »

M. López Obrador, dont la stratégie consistant à préférer les fournisseurs d’énergie mexicains devait être un point de friction lors de ce sommet, a également signalé une volonté de discuter plus avant de la question, a ajouté Mme Blais. « Il ne faut pas être naïfs, mais il y a un sentiment qu’il y a peut-être de l’espoir que nous puissions résoudre ce problème. »

Le Canada pourrait également jouer un rôle plus actif en travaillant avec le Mexique pour se protéger contre certaines des menaces à la démocratie qui existent dans des pays d’Amérique latine comme le Venezuela, le Nicaragua et Cuba, a ajouté le sénateur Boehm, qui préside au Parlement le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.

Trudeau en mode séduction

La dernière journée de la visite du premier ministre Justin Trudeau à Mexico a été entièrement consacrée au renforcement des liens avec le Mexique, en commençant par un discours aux dirigeants d’entreprise, qui a présenté le Canada comme un champion du libre-échange et un endroit sage où investir.

Déjà, l’investissement direct étranger au Canada au cours de la dernière année a alimenté la croissance de la fabrication de véhicules électriques et le développement de minéraux essentiels, qui ont créé quelque 17 000 emplois, a déclaré M. Trudeau à son auditoire.

Le commerce entre le Canada et le Mexique a été multiplié par neuf depuis 1993, alors que le Canada était deuxième derrière l’Espagne l’an dernier sur la liste des principales sources d’investissement étranger au Mexique, a ajouté le premier ministre.

Nous sommes un partenaire fiable, avec une abondance de talents, un climat d’investissement très attractif et une excellente qualité de vie. Il existe un énorme potentiel de croissance entre nos pays. Alors poursuivons sur cette lancée. Continuons à faire ce que les dirigeants ont fait il y a une génération : tenons fermement à notre foi dans le commerce ouvert et la collaboration.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

José Antonio Meade, ancien secrétaire aux Affaires étrangères du Mexique sous la présidence d’Enrique Peña Nieto, a estimé vendredi que les deux pays « doivent faire plus » pour étendre leurs relations, pour le bien de la vision plus large de rendre l’ensemble du continent plus concurrentiel à l’échelle mondiale.

« Je pense que cette relation est sous-développée, qu’elle est sous-estimée, et aussi important que soit le Canada pour le Mexique et que le potentiel du Mexique soit pour le Canada, nous n’en faisons pas autant que nous le devrions », a déclaré M. Meade.

Pour les trois pays, en particulier pour les États-Unis, la réalisation du véritable potentiel économique du continent nécessitera un engagement de temps et d’efforts pour cultiver leurs liens trilatéraux, a-t-il ajouté.

« Je pense que le défi le plus important à surmonter est que les dirigeants soient prêts à consacrer le temps nécessaire pour entretenir la relation, et vraiment à travers cette éducation, pour identifier les opportunités et les concrétiser. »

Règles d’origine dans l’automobile

Des participants à la table ronde ont souligné également que la relation trilatérale dépendra énormément de la façon dont les États-Unis réagiront à la décision d’un groupe spécial sur les pièces automobiles, qui s’est rangé du côté du Canada et du Mexique, au grand dam de Washington.

Cette décision clé du tribunal des différends sur les règles d’origine de l’automobile a été officiellement publiée juste après le sommet de Mexico, même si les trois parties étaient bien au fait de son contenu.

Le groupe spécial, qui fait partie du mécanisme de règlement des différends établi en vertu de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM), a conclu que les États-Unis avaient commis une erreur dans leur interprétation de la façon dont l’accord de libre-échange traitait les pièces essentielles lors du calcul du contenu national d’un véhicule.

Jusqu’à présent, les États-Unis sont restés silencieux sur la manière dont ils prévoient de répondre à cette décision, qui détermine notamment de l’admissibilité d’un véhicule à un traitement en franchise de droits en vertu de l’ACEUM.

« Je pense qu’il sera très, très révélateur de voir si les Américains se conforment à cette décision, a déclaré Mme Blais, qui rappelle que l’ACEUM devra être réexaminé par les trois pays signataires en 2026. Je pense que ça donnera le ton à ce réexamen qui aura lieu dans moins de trois ans maintenant. »