(Ottawa ) La guerre que mène la Russie en Ukraine a rendu la planète plus instable et dangereuse, affirme le premier ministre Justin Trudeau. Mais il ne croit pas que ce conflit mènera à une nouvelle course aux armements aux conséquences imprévisibles, comme on en a connu une dans les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale.

Il importe, à ses yeux, que les pays démocratiques continuent de soutenir par tous les moyens l’Ukraine face à l’agression russe pour assurer la victoire sans équivoque de Kyiv. Dans un scénario contraire, d’autres régimes autoritaires pourraient être tentés d’emboîter le pas à la Russie, mettant en péril un ordre mondial et des règles internationales qui doivent régir les relations entre pays souverains.

Dans une entrevue accordée à La Presse durant une visite à Shawinigan et à Trois-Rivières, M. Trudeau a convenu que la guerre en Ukraine forçait nombre de pays à revoir à la hausse leurs dépenses militaires.

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Justin Trudeau, premier ministre du Canada, en entrevue avec La Presse

Le premier ministre ne fait pas partie de ceux qui croient au dicton latin Si vis pacem, para bellum (« Si tu veux la paix, prépare la guerre »). Mais il est inévitable que des pays choisissent d’augmenter leurs dépenses militaires pour assurer leur sécurité en ces temps incertains.

« Les gens sont en train de voir très clairement que la période de paix et de stabilité qu’on a eue depuis des décennies est en train de s’effriter quelque peu. On le voit avec l’invasion de la Russie, les menaces que représentent les groupes terroristes et l’instabilité dans certaines régions du monde », a avancé le premier ministre.

Quand j’étais jeune, j’ai fait des voyages en sac à dos en Afrique de l’Ouest. J’ai traversé des frontières qu’aujourd’hui personne ne peut franchir tellement c’est dangereux. On est dans un monde dangereux.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

Selon le premier ministre, les Forces armées canadiennes ont un rôle des plus importants à jouer dans ce nouveau contexte, et son gouvernement a la ferme intention de continuer d’investir dans la défense.

« Est-ce que c’est le même genre de course aux armements qu’on a déjà vue ? Je ne pense pas. Mais il faut comprendre que le monde est beaucoup plus compliqué que dans le passé. »

Réponse ferme

Ce monde est plus compliqué, selon M. Trudeau, en raison de la montée en puissance des régimes autoritaires comme la Russie et la Chine « qui prônent la force morale ou physique ».

« Si les pays démocratiques occidentaux qui ont des valeurs d’ouverture et de respect n’arrivent pas à dire à Poutine, “non, ça ne passe pas”, d’autres régimes vont se donner des libertés. C’est ce qu’on a vu en quelque sorte quand Poutine a envahi la Crimée. Le monde n’a pas eu une réaction aussi ferme qu’il aurait fallu. Maintenant, Poutine a été pris par surprise par notre fermeté après qu’il a envahi l’Ukraine. Il a aussi été surpris par la combativité des Ukrainiens », a-t-il dit.

Mais si on ne fait pas preuve de fermeté et de force pour défendre nos valeurs et nos principes comme la Charte des Nations unies, l’intégrité territoriale et le respect de la souveraineté, alors on va perdre tout ce qu’on a construit au cours des 70 dernières années.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

Dans les semaines qui ont suivi l’invasion russe, en février 2022, l’Allemagne a annoncé son intention de dépenser des sommes record pour son armée – 50 milliards d’euros – afin d’être en mesure de dépasser les 2 % du produit intérieur brut (PIB) préconisés par l’OTAN dans les prochaines années. Berlin a aussi constitué un fonds exceptionnel de 100 milliards d’euros qui sera utilisé sur plusieurs années. D’autres pays comme la Suède et le Danemark ont également annoncé de nouvelles dépenses, tout comme le Canada d’ailleurs.

Récemment, le Japon, qui est régi par une Constitution pacifiste depuis des décennies dans la foulée de son rôle durant la Seconde Guerre mondiale, a fait savoir qu’il allait doubler son budget annuel de défense en le faisant passer d’environ 1 % de son PIB à 2 % d’ici 2027.

D’autres menaces

En visite officielle à Ottawa il y a une dizaine de jours, le premier ministre japonais Fumio Kishida a insisté sur le fait que la Chine et la Corée du Nord font peser des menaces insoutenables sur la stabilité et la sécurité de son pays, et sur la région indopacifique dans son ensemble.

Cette région, a-t-il aussi fait valoir, n’est pas immunisée contre des tentatives comme celles de la Russie de « changer unilatéralement le statu quo ». Il a cité à titre d’exemple les dizaines de tirs de missiles balistiques effectués en 2022 par la Corée du Nord, dont un est retombé dans la mer du Japon en novembre dernier.

Dans le cas de l’Ukraine, plusieurs pays de l’OTAN lui ont remis de l’équipement militaire pour l’aider à contrer l’envahisseur russe. Le Canada fait partie des pays donateurs. Encore cette semaine, la ministre de la Défense, Anita Anand, a confirmé, lors d’une visite surprise à Kyiv, que le Canada enverra 200 autres véhicules blindés et il y a deux semaines, M. Trudeau a annoncé au président américain Joe Biden, lors d’une réunion à Mexico, que le Canada achèterait des États-Unis un système de défense antiaérienne destiné à l’Ukraine.