(Ottawa) Le premier ministre Justin Trudeau assure que l’arrivée d’un nombre record d’immigrants au pays au cours des prochaines années se fera de manière « ordonnée et responsable ». Car il tient mordicus à ce que les Canadiens conservent leur esprit d’ouverture face à l’immigration – un atout économique indéniable pour le pays au moment où la pénurie de main-d’œuvre frappe essentiellement tous les secteurs.

Le Canada s’est donné comme objectif d’accueillir à compter de 2025 500 000 nouveaux arrivants par année, une politique ambitieuse qui pourrait toutefois exercer des pressions sur le logement et les programmes sociaux comme la santé et l’éducation, a reconnu le premier ministre.

Le gouvernement fédéral prévoit accueillir 465 000 immigrants en 2023 et 485 000 autres en 2024. En trois ans, donc, le Canada prévoit l’arrivée d’environ 1,4 million de nouveaux arrivants.

Dans une entrevue accordée à La Presse il y a quelques jours, M. Trudeau affirmait que les nouveaux seuils d’immigration n’avaient pas été établis à la légère.

Non seulement on a pensé à cela [les pressions sur le logement et les programmes sociaux], mais c’est un peu à cause de cela que l’on veut augmenter les seuils d’immigration. Nous en avons besoin.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

« Il y a une pénurie de travailleurs de la construction. Il y a une pénurie de travailleurs dans le secteur de la santé. Il y a une pénurie de préposés à la petite enfance. On sait qu’il y a une pénurie de main-d’œuvre. Je ne peux pas aller dans les régions du Québec ou ailleurs sans qu’on me parle de pénurie de main-d’œuvre. Ça ne touche pas juste les grosses entreprises. C’est aussi le restaurant qui doit fermer les lundi, mardi et mercredi parce qu’il n’a pas assez d’employés », a-t-il illustré.

Il a précisé que les catégories d’immigrants qui seront priorisées viseront à pourvoir les nombreux postes vacants dans les secteurs névralgiques de l’économie.

« Oui, il y a une pénurie de logements. C’est pour cela qu’il faut bien réfléchir pour bien doser et amener les bonnes catégories d’immigrants. Mais accueillir des gens pour travailler en construction, pour travailler dans le secteur des services et dans d’autres secteurs, oui, c’est ce dont on a besoin. Nous avons le potentiel de le faire », a-t-il avancé.

Mesures incitatives

Poursuivant sur sa lancée, M. Trudeau a soutenu que l’une des raisons qui alimentent l’inflation, c’est justement la pénurie de travailleurs. « C’est un problème en partie parce qu’on ne peut pas répondre à la demande dans l’économie. Donc, il faut augmenter l’offre. Et pour cela, il faut aller chercher plus de gens pour travailler. »

Pour éviter que les pressions sur le logement ne soient encore plus importantes dans les grands centres urbains comme Montréal, Toronto, Calgary ou Vancouver, le gouvernement fédéral examine les mesures qui pourraient être proposées aux nouveaux arrivants pour les inciter à s’installer en région.

Dans les régions, il y a moins de pénurie de logements, il y a plus de capacité d’en bâtir. On a des besoins en matière d’emplois. On peut diriger les gens sans les forcer. Les gens vont aller là où il y a des opportunités. C’est sur quoi on est en train de travailler.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

Dans son dernier budget, le gouvernement Trudeau a promis de s’attaquer à la pénurie de logements en injectant 10 milliards sur cinq ans pour doubler la construction d’habitations au cours de la prochaine décennie et faciliter l’accès à la propriété. En moyenne, on construit environ 200 000 logements de tous types par année. Pour répondre aux besoins en logement, le Canada doit absolument doubler le rythme annuel des constructions.

Attirer les talents

Selon le premier ministre, une politique d’immigration ambitieuse donne un avantage important au Canada pour attirer les talents étrangers.

« Ce n’est pas juste une question d’éviter des problèmes comme cela. Une de mes grandes priorités, c’est de reconnaître qu’au Canada et au Québec, on a un atout : les gens sont ouverts à l’immigration en général. Les gens savent que c’est une source de croissance économique et une source de richesse pour la communauté. Au Québec, on s’attend à ce que ces gens puissent parler français ou l’apprendre rapidement », a-t-il noté.

Cette ouverture, on la tient un peu pour acquise au Canada. Quand je voyage à travers le monde, je vois à quel point différents pays ont les mêmes défis de pénurie de main-d’œuvre que nous, mais qu’en même temps leur population et leur dynamique politique alimentent les partis qui sont contre l’immigration d’une façon dogmatique.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

« Ce n’est pas un problème qu’on a ici. Une des choses qui vont protéger cet avantage, c’est de faire en sorte que les gens soient assurés que cela va être fait de façon responsable, ordonnée et prévisible. Ça va amener des défis, mais ça va permettre d’en résoudre aussi plein d’autres. »

Quant aux demandeurs d’asile qui entrent au pays de manière irrégulière par le chemin Roxham, M. Trudeau a réitéré que les pourparlers avec les États-Unis se poursuivaient pour modifier l’Entente sur les tiers pays sûrs.

« La grande priorité, ça va être de régler cette situation parce qu’on ne parle plus juste de gens qui traversent vers le Canada. Maintenant, ce sont des gens qui traversent vers les États-Unis. Ça devient plus motivant pour les Américains de régler ce dossier que lorsque c’était juste dans une direction. Les conversations avec les Américains avancent. On est optimistes qu’on va pouvoir arriver à quelque chose de bien. »

Trudeau n’a pas l’intention de lire le livre de Morneau

Justin Trudeau n’a pas lu le livre que vient de publier son ancien ministre des Finances Bill Morneau. Et il n’a pas l’intention de le lire non plus. Dans ce livre paru uniquement en anglais (Where To from Here – A Path to Canadian Prosperity) la semaine dernière, M. Morneau écorche son ancien patron, l’accusant de peu s’intéresser à l’économie et d’accorder trop d’importance à l’image au détriment du fond. « Quand on quitte la politique, on a énormément de temps pour la réflexion et l’introspection. Il a pris le temps de le faire. Moi, j’ai encore trop de choses à faire. Je ne veux pas passer trop de temps là-dessus. Mais je lui souhaite du bien », a-t-il lâché. Bill Morneau a quitté ses fonctions de ministre des Finances en août 2020 après avoir servi pendant cinq ans dans le gouvernement Trudeau. « On a fait de bonnes choses ensemble. On a pu réduire la pauvreté de façon massive au Canada. […] J’espère que ça lui a fait du bien d’écrire ce livre. Mais moi, j’ai du travail à faire. »