« Je veux du sexe », lance le garçon, en lui montrant son pénis. Le garçon entre dans la pièce, embrasse la fillette de 10 ans et la touche. Ève le repousse. À trois ou quatre reprises, le garçon s’en prend à elle, à l’insu des intervenants. Ève finit par se confier à ceux-ci. Elle dit se sentir « bizarre, parce qu’[ils sont] des enfants ».

C’est au printemps 2022 que la confiance de Nancy dans le système bascule. Sa fille est agressée sexuellement par un garçon du centre de réadaptation. Or, ce n’est que six semaines plus tard que la DPJ l’en informe. Scandalisée, Nancy porte plainte.

Un tel délai est « inacceptable », souligne dans son rapport la commissaire adjointe aux plaintes du CISSS des Laurentides Marie-Ève Rousseau. « Vous auriez donc dû être informée de façon diligente de la situation. […] Il est regrettable que cela n’ait pas été fait », conclut-elle. « J’en suis désolée », ajoute-t-elle. La commissaire adjointe formule une série de recommandations à la DPJ.

Même si la DPJ reconnaît qu’Ève a été agressée sexuellement, elle conclut que sa sécurité et son développement ne sont pas « compromis » et ferme le dossier. Pour arriver à cette conclusion, l’intervenante de la DPJ soutient que l’agression n’a pas eu « d’impact pour le moment » sur Ève.

« Ça n’a pas eu d’impact ? Ça n’a pas eu d’impact ? », répète le professeur Alain Roy, ébahi.

On est en train d’abandonner cette enfant-là. Le système, au grand complet, est défaillant à tous égards. Je suis sans mot.

MAlain Roy, professeur de droit à l’Université de Montréal, spécialiste du droit de l’enfant et du droit de la famille

Il va de soi, à son avis, que les parents avaient le droit d’être informés. Également, un enfant agressé sexuellement a certainement besoin d’un suivi serré. « Il est plus qu’étonnant de conclure que des agressions sexuelles sur une enfant de 10 ans n’ont pas d’impact », insiste le professeur.

« C’est révoltant », renchérit-il.

Comme elle s’inquiète des conséquences à long terme de cette agression, Nancy s’est tournée vers l’IVAC, le programme d’indemnisation des victimes d’actes criminels. L’organisme a alors reconnu sa fille comme victime d’un acte criminel. « Pourquoi la DPJ ne l’a pas fait ? », s’interroge la mère. Mais la DPJ refuse de faire suivre Ève par le psychologue choisi par Nancy, déplore celle-ci.

Ce n’est qu’en mai 2023 qu’une juge a ordonné qu’Ève puisse bénéficier d’une évaluation psychologique. Son suivi n’avait toujours pas commencé début septembre, selon sa mère.

Nancy a depuis porté plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Dans une lettre d’août 2023, l’enquêtrice écrit devoir poursuivre son enquête pour faire la lumière sur les services offerts à Ève suivant le signalement d’abus sexuels, ainsi que sur les mesures mises en place par la DPJ pour prévenir les abus sexuels.

À l’été 2022, Ève est confiée à la DPJ pour une autre année complète après plusieurs épisodes de désorganisation. La DPJ reproche au nouveau conjoint de sa mère de lui avoir serré le cou pendant une crise. Elle menace de planter un « couteau dans la yeule » de son beau-père. Ce dernier raconte à La Presse être intervenu modérément parce que la fillette attaquait sa mère.

La DPJ accuse la mère de faire preuve « d’une faible capacité d’introspection et d’autocritique » et de minimiser les gestes de son conjoint.

Tout n’est pas noir : le médecin spécialiste qui suit Ève estime que celle-ci fait « beaucoup de progrès » dans sa gestion des émotions et de ses crises en centre de réadaptation à l’été 2022, résument les notes d’un intervenant de la DPJ.