Ève est en cavale. Elle s’est désorganisée quand son père l’a reconduite à son centre d’hébergement de la DPJ. Les intervenants appellent le 911. En voyant le policier, elle s’enfuit et tente de le frapper. L’agent de la police de Blainville la ramène à sa ressource.

Après une année en montagnes russes, Ève continue ses crises explosives. C’est ainsi qu’en février 2023, elle échappe à ses intervenants de la DPJ deux fois en deux jours. Mais contrairement aux policiers de Blainville la veille, les agents de Saint-Jérôme la placent dans une cellule au poste de police.

« Comme son état est instable, qu’elle ne coopère pas avec les intervenants ni avec nous, nous la conduisons dans une cellule au poste le temps que les intervenants fassent leurs démarches et organisent un transport », peut-on lire dans le rapport de la police de Saint-Jérôme.

Dans le rapport, on relate que l’enfant donnait des coups de pied et criait sur les agents. « Étant donné son état, les intervenants ne sont pas en mesure de faire le transport dans une ressource », indique-t-on.

« Êtes-vous au courant que ma fille a 11 ans ? C’est traumatisant ! Elle est traumatisée, ma fille », se scandalise Nancy, en entrevue avec La Presse. Sa fille est restée 45 minutes derrière les barreaux ce jour-là, soutient-elle. Nancy raconte que sa fille est terrorisée à la simple vue d’un policier. La mère affirme avoir porté plainte à la Ville de Saint-Jérôme et en déontologie policière.

« Elle voulait aller aux toilettes, mais avec les caméras sur place, elle ne voulait pas », raconte le père d’Ève.

« Voyons ! Une cellule ? », s’anime le professeur Alain Roy.

J’ai de la misère à croire et à comprendre qu’il n’y avait pas une autre manière de procéder. Je comprends qu’elle était en crise. Mais à 11 ans, la mettre dans une cellule ? On va essayer de nous convaincre que ça se justifiait, mais c’est complètement insensé.

Me Alain Roy, professeur de droit à l’Université de Montréal, spécialiste du droit de l’enfant et du droit de la famille

« Les policiers ne voulaient pas être dans la même pièce qu’elle ? Ce n’est pas sérieux ! Je n’aurais pas été surpris de ça il y a 50 ans. Mais aujourd’hui, je ne comprends pas. C’est un manque de formation ? De sensibilité ? », s’interroge MRoy.

Le spécialiste en droit de l’enfant rappelle que tous les intervenants, dont les policiers, doivent être guidés par le principe « cardinal » de l’intérêt de l’enfant. De plus, Ève, sous l’autorité de la DPJ, est une enfant qui a besoin de protection, insiste-t-il.

MRoy ajoute que la perception du temps de l’enfant diffère de celle des adultes. « Quarante-cinq minutes pour un enfant, c’est une éternité. Pour l’enfant, c’est extrêmement dommageable », soutient-il.

« A priori, c’est un peu étrange », estime MTiago Murias, avocat spécialisé en justice pour adolescents. « J’ai rarement vu ça. Pourquoi elle n’a pas été placée dans un autre local du poste de police ? », s’interroge-t-il.

L’expert soutient que les policiers étaient possiblement dans leur droit. Cela dit, il s’agit certainement d’une mesure exceptionnelle. « Est-ce que c’était la mesure raisonnable ? C’est une question d’interprétation. Dans ce cas, est-ce qu’ils vont dire qu’elle était trop dangereuse pour elle-même ? », se demande MMurias.

En réponse à la plainte officielle de la mère, la Ville de Saint-Jérôme affirme dans une lettre du 15 septembre n’avoir « commis aucune faute » et avoir agi en vertu des normes et procédures en vigueur « afin d’assurer la sécurité de l’enfant ». Joint par La Presse, le service de police de Saint-Jérôme s’est abstenu de commenter.

Un mois après cet évènement, Ève a de nouveau été interceptée par les policiers après avoir attaqué deux intervenants. L’enfant refusait de retourner dans un centre de la DPJ après une visite de son père. Comme un enfant de moins de 12 ans ne peut faire l’objet d’accusations criminelles, Ève n’est pas accusée.

Même scénario en avril dernier : Ève se désorganise dans le stationnement de la DPJ, tire les cheveux d’une employée et tente de l’étrangler, puis prend la fuite. L’enfant de 11 ans est dans un état tel que les policiers doivent la contenir au sol pour éviter qu’elle se blesse.

« Pendant que nous la contenons au sol, [Ève] fait plusieurs voies de fait et profère des menaces à tous les policiers. Elle crache au visage de [X] à deux reprises. Nous apposons un sac anticrachat sur sa tête », indique le rapport.