Tentative de meurtre contre Leonardo Rizzuto. Assassinats de Claudia Iacono, de Francesco Del Balso et de Gregory Woolley. Le crime organisé montréalais est secoué cette année par un nouveau conflit de haut niveau. L’une des trames de fond : le contrôle du registre des paris sportifs de la mafia montréalaise.

« Celui qui possède le Livre possède le pouvoir », a résumé une source issue des rangs policiers à La Presse récemment.

Tant dans le milieu criminel que chez les policiers, on souscrit à cette maxime.

Le Livre, c’est une expression consacrée pour désigner la liste des clients et la comptabilité des paris sportifs de la mafia montréalaise, et les prêts qui s’y rattachent.

Historiquement, c’est le clan dominant de la mafia qui le détient.

Le passé a également démontré que lors de certaines guerres intestines qui ont périodiquement secoué la mafia montréalaise depuis presque 20 ans, le détenteur du Livre a figuré parmi les premières cibles d’une tentative de putsch.

Alors que durant une dizaine d’années à partir de 2013, mafieux et Hells Angels ont siégé à une même table pour diriger le crime organisé montréalais, il semble que cette alliance ait éclaté l’année dernière.

La police croit que l’une des raisons de cette rupture est qu’un groupe de Hells Angels de Montréal, ayant Martin Robert et Stéphane Plouffe à sa tête, cherche à prendre le contrôle du Livre appartenant depuis des décennies au clan sicilien de la mafia de Montréal.

En 2021, les Hells Angels de Montréal ont accepté dans leurs rangs un ancien membre ontarien, Rob Barletta, spécialiste des paris sportifs illégaux, et la police croit que l’arrivée du motard dans la Belle Province n’est pas anodine.

Le groupe de Martin Robert avait également accepté dans son giron Francesco Del Balso, ancien lieutenant du clan des Siciliens et l’un des responsables des paris sportifs de la mafia avant son arrestation et sa condamnation dans la foulée de l’enquête Colisée par laquelle la GRC a décapité le clan Rizzuto en 2006.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Francesco Del Balso, lors de son arrestation dans le cadre de l’opération Colisée, en 2006

Il semble que Del Balso n’ait pas apprécié la façon dont la mafia s’est occupée de lui durant sa détention et ait voulu reprendre la direction du Livre à sa sortie de prison. Mais les Siciliens lui auraient opposé une fin de non-recevoir.

L’expérience de Del Balso en la matière était la bienvenue chez les Hells Angels, mais rapidement, les évènements violents se sont succédé.

Del Balso a été victime d’une tentative de meurtre près de chez lui à Laval en novembre 2022.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Leonardo Rizzuto a été visé par une tentative de meurtre à la mi-mars, à Laval.

À la mi-mars, Leonardo Rizzuto, fils cadet du défunt parrain de la mafia Vito Rizzuto, a été blessé par balle sur l’autoroute 440, également à Laval.

En mai, Claudia Iacono a été assassinée à Montréal, mais la police croit que c’est son conjoint, Anthony Gallo, proche de Del Balso, qui était visé.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Funérailles de Claudia Iacono

Le 5 juin, c’était au tour de Del Balso de tomber sous les balles dans l’ouest de Montréal, vraisemblablement victime de la vengeance des Rizzuto.

La police croit que tous ces attentats, y compris le meurtre du chef de gang Gregory Woolley à la mi-novembre, ont ce même bras de fer comme toile de fond.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Francesco Del Balso a été tué par balle le 5 juin, dans l’ouest de Montréal.

Criblé de dettes à 18 ans

Les paris sportifs illégaux sont une activité traditionnelle de la mafia.

On pourrait croire qu’il s’agit là d’un crime d’une autre époque, mais les paris sportifs, qui permettent en même temps aux responsables de prêter d’importantes sommes à des taux usuraires, sont extrêmement payants pour la mafia.

De plus, la police se penche rarement sur ces activités et les peines pour de tels crimes sont souvent clémentes.

Pourtant, ils peuvent avoir de très graves conséquences.

En mai 2019, un jeune Lavallois de 18 ans, travailleur à temps partiel dans un restaurant d’une chaîne de restauration rapide, s’est pendu chez lui après avoir contracté une dette de 80 000 $ en misant sur le site de paris en ligne de la mafia.

« Monsieur révèle à ses parents en novembre 2018 qu’il a des problèmes de jeu. D’ailleurs, il fait plusieurs virements bancaires de son compte. Le 15 mai 2019, un proche, qui a accès au compte bancaire du jeune homme, constate qu’il a retiré 400 $. Il parle avec le jeune homme au téléphone et convient avec lui qu’il va gérer à l’avenir ses payes, pour s’assurer qu’il ne gaspille pas d’argent. Le jeune homme étudie chez un ami ce soir-là. Il revient chez lui vers 1 h dans la nuit. Sa mère veut lui parler mais celui-ci refuse, disant être fatigué. Une note de suicide est trouvée sur son cellulaire. Il explique ne pas être dépressif mais plutôt ne pas être heureux », peut-on lire dans le rapport du coroner.

Selon nos informations, même après la mort du jeune homme, la mafia aurait pris contact avec la famille pour que la dette soit tout de même remboursée.

Les paris en hausse

Durant l’enquête Colisée, il y a plus de 15 ans, un expert avait établi que les paris sportifs avaient permis à la mafia montréalaise de récolter 27 millions en 18 mois entre 2004 et 2006.

Selon la police, les millions amassés grâce aux paris sportifs permettent à la mafia et au crime organisé de financer d’autres opérations criminelles, telles l’importation de drogue ou la réalisation de contrats.

Les responsables des paris sportifs de la mafia en 2023 sont les mêmes que durant l’enquête Colisée.

Les résultats d’une étude publiée en mars dans La Presse concluent que les jeux en ligne ont explosé durant la pandémie de COVID-19, passant de 5,2 % d’adeptes en 2018 à 15,6 % en 2021.

La police ignore à combien s’élèvent les profits annuels des paris sportifs illégaux de la mafia en 2023, mais ils s’établissent assurément à des dizaines de millions de dollars.

En janvier dernier, La Presse a révélé que Loto-Québec avait annoncé des campagnes publicitaires et des ententes d’exclusivité avec des médias et des équipes sportives pour faire face à la concurrence qu’elle qualifiait d’« illégale ».

Lisez « Jeu en ligne : le nombre d’adeptes a triplé » Lisez « Loto-Québec tente de mettre en échec la concurrence »

Un pari risqué

Des lecteurs ont déjà demandé à La Presse pourquoi des joueurs se tournent, à leurs risques, vers les paris sportifs illégaux plutôt que vers les sites légaux, tels ceux de Loto-Québec.

Selon des sources, les cotes et les gains seraient plus élevés. Puisque tout se fait en argent comptant, cela ne laisse pas de traces pour les gros joueurs qui ne seront ainsi pas importunés par les agences du revenu.

En revanche, un joueur perdant doit rembourser immédiatement sa dette, qui augmente rapidement, à des taux usuraires. Un parieur qui ne paye pas s’expose à recevoir la visite d’un collecteur ou à voir son véhicule incendié.

Des sources nous ont confié que des commerçants avaient perdu leur gagne-pain aux mains de mafieux après avoir contracté d’importantes dettes de jeu.

Durant l’enquête Colisée, les enquêteurs de la GRC avaient constaté que des joueurs avaient été battus, s’étaient suicidés ou avaient perdu une propriété en raison de telles dettes.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.