(Québec) Trois hommes dans la trentaine, dont deux étaient des pères de famille, étaient partis dans les Chic-Chocs pour vivre leur passion de la motoneige hors piste. Ils ont été retrouvés morts mardi soir dans l’avalanche la plus meurtrière survenue au Québec dans un contexte récréatif.

Le groupe composé de quatre hommes a quitté l’Estrie pour la Gaspésie dimanche. Il arpentait mardi les montagnes à une vingtaine de kilomètres à l’est de Sainte-Anne-des-Monts, dans un secteur hors piste où les sentiers fédérés ne se rendent pas.

« Ce sont des secteurs qu’on ne surveille pas, qu’on ne fréquente pas pour la surveillance. On n’a pas une super idée de ce qui se passe là. On n’a pas de mandat au-delà du secteur où on travaille », a indiqué Dominic Boucher, directeur général d’Avalanche Québec.

Selon lui, il s’agit de l’avalanche la plus meurtrière à survenir dans un contexte récréatif. La plus meurtrière, toutes catégories, a fait 9 morts en 1999 à Kangiqsualujjuaq, au Nunavik, lorsqu’une école a été ensevelie.

Avalanche Québec a dépêché des observateurs sur les lieux de l’accident mercredi. Selon les premiers rapports faits à M. Boucher, les motoneigistes ont approché par le bas une pente abrupte et une couche de neige s’est détachée sous leur poids.

« Parfois, les couches résistantes sont par-dessus les couches faibles, ajoute le directeur général d’Avalanche Québec. Ça peut tenir un certain temps. Mais c’est comme si vous aviez une mauvaise fondation à votre maison et que vous ajoutiez des étages… un jour, ça peut s’effondrer. »

« Le jour, le soleil est vraiment présent, donc l’alourdissement de toute cette neige-là a possiblement déclenché, avec la présence de motoneigistes, cette avalanche-là », a de son côté le guide de motoneige, David Lévesque, dans une vidéo diffusée sur la page Facebook d’Avalanche Québec, mercredi.

« On a vu que l’eau a percolé un peu et elle est venue lubrifier une petite croûte de glace qui était présente un peu plus tôt en saison. Et c’est là-dessus que l’avalanche est venue glisser », a quant à lui fait valoir le prévisionniste en avalanche, Jean-François Michaud. « N’oubliez pas, on s’éduque, on s’équipe et on s’informe avant de venir en montagne. Même dans les Chic-Chocs, il y peut avoir des incidents comme ça avec des conséquences importantes », a-t-il ajouté.

Les victimes sont Joël Crête, 35 ans, et Nicolas Vanasse, 30 ans, tous deux de Coaticook, et Bryan Forgues Morissette, 33 ans, de Saint-Denis-de-Brompton.

Le quatrième motoneigiste a heureusement échappé à l’accident. Selon un témoignage de sa conjointe sur Facebook, il était en train de filmer ses amis.

« Nous avons perdu trois guerriers sur quatre, trois bons jacks, trois trippeux », écrit-elle sur le réseau social dans un hommage aux victimes.

« Tu as été là du début à la fin à faire tout ce qui était en ton pouvoir pour sortir tes amis de là […] malgré tout je sais que tu vis dans la culpabilité… la culpabilité de rentrer à la maison et pas eux… c’est injuste… je te souhaite de te pardonner », ajoute-t-elle à l’intention de son conjoint.

PHOTO TIRÉE DE FACEBOOK

Bryan Morissette avait publié fin février des photos d’une expédition dans les Chic-Chocs réalisée avec des guides.

C’est ce quatrième motoneigiste qui a alerté les secours vers 17 h 30 mardi. Les policiers de la Sûreté du Québec (SQ), les pompiers de Sainte-Anne-des-Monts et les nombreux guides de motoneige arrivés sur place en soirée n’ont rien pu faire pour sauver les trois hommes.

« C’est une tragédie hors norme », a commenté Guy Bernatchez, préfet de la MRC de Haute-Gaspésie. « Ils étaient dans la jeune trentaine et des pères de famille. Ça rend ça encore plus dramatique », a-t-il ajouté avant d’offrir ses condoléances aux familles.

Selon nos informations, certaines des victimes avaient visité les Chic-Chocs il y a tout juste un mois, avec un guide. Les motoneigistes avaient décidé de revenir dans ce secteur à 8 km du mont Médaille. Cette fois-ci, ils n’avaient pas de guide.

Un sport en pleine croissance

L’accident de mardi survient dans le contexte où la motoneige hors piste est en pleine croissance au Québec. En Gaspésie, ces motoneigistes fréquentent des secteurs peu surveillés par Avalanche Québec, un organisme surtout axé sur la pratique du ski.

« Avalanche Québec, on existe depuis plus de 20 ans et notre clientèle, c’était les gens en ski. Ici, au départ, il n’y avait pas de motoneiges, note Dominic Boucher. Mais dans les 10 dernières années, l’industrie de la motoneige hors piste s’est beaucoup développée, surtout en périphérie de nos secteurs d’activité traditionnels. »

Il estime que sur les 1000 personnes qui ont suivi des cours de sécurité avalanche au Québec l’an passé, au maximum une quarantaine étaient des motoneigistes. « Beaucoup de travail a été fait auprès des skieurs, moins auprès des motoneigistes », dit-il.

Le guide David Lévesque estime qu’il s’agit d’un rappel pour les motoneigistes du Québec : les avalanches peuvent se produire chez nous. « Les gens qui vont dans l’Ouest canadien font une formation en avalanche pour les motoneigistes, et ils sont confrontés à des avalanches quasiment à chaque séjour. Au Québec, c’est vraiment à des endroits spécifiques, dans des conditions spécifiques. Mais ça peut arriver. »

L’une des propriétaires de l’entreprise de guidage Sled Den, qui opère depuis 10 ans dans ce secteur, pense que le gouvernement devra probablement se pencher sur ce drame. « Québec avait déjà resserré les règles pour les guides après le drame du Lac-Saint-Jean. Je pense que cette fois-ci, le gouvernement devrait peut-être demander des formations avalanche pour les guides », lance Eva Pinsoneault, en référence à la tragédie survenue en janvier 2020 lorsque cinq touristes et leur guide ont sombré dans les eaux glaciales du lac.

« On recommande tout le temps, si vous n’êtes pas venus ici souvent, de prendre un guide, et un guide avec une formation en sécurité avalanche », ajoute-t-elle.

Avec Henri Ouellette-Vézina, La Presse

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