(Montréal) La dernière psychiatre à s’être entretenue avec un Québécois atteint d’une maladie mentale avant qu’il ne poignarde mortellement une sergente de la police provinciale en mars dernier a eu un appel téléphonique particulièrement difficile avec lui quelques jours avant le meurtre, a dévoilé les audiences de la coroner, mercredi.

La Dre Hélène Poirier a été assignée au dossier d’Isaac Brouillard Lessard en février 2022. Témoignant lors du troisième jour de l’enquête du coroner, elle a affirmé que lors d’un appel téléphonique le 22 mars 2023, Brouillard Lessard s’est mis en colère et l’a insultée, lui criant dessus au point où elle a raccroché.

« J’étais plus bouleversée qu’inquiète, parce que c’était le même message que j’avais entendu auparavant… pour moi, c’était l’Isaac que je connaissais », a-t-elle soutenu.

PHOTO SÛRETÉ DU QUÉBEC/LA PRESSE CANADIENNE

Maureen Breau

L’appel a eu lieu cinq jours seulement avant qu’il n’attaque Maureen Breau, sergente de la police provinciale, alors qu’elle et ses collègues tentaient de l’arrêter. L’évènement s’est produit à Louiseville, au Québec, à environ 100 kilomètres au nord-est de Montréal.

Isaac Brouillard Lessard, 35 ans, a poignardé la sergente avec un couteau de cuisine et a grièvement blessé son collègue avant d’être abattu par la police.

L’enquête de la coroner Géhane Kamel, qui a débuté lundi au palais de justice de Trois-Rivières, vise à faire la lumière sur les circonstances entourant ces deux décès.

Dre Poirier était l’une des nombreuses psychiatres à témoigner cette semaine au sujet du traitement que Brouillard Lessard a reçu il y a une décennie. Elle a noté que le lendemain de la conversation, un Brouillard Lessard plus calme a rappelé et qu’ils ont pu fixer un rendez-vous pour avril.

Lundi, un membre du Bureau des enquêtes indépendantes a témoigné que des agents de la police provinciale avaient rendu visite à Brouillard Lessard trois jours avant qu’il ne tue Mme Breau, après que ses parents eurent exprimé leurs inquiétudes quant à la détérioration de son état mental. Les policiers ont décidé qu’ils n’avaient aucune raison de l’arrêter.

Hélène Poirier a décrit Brouillard Lessard comme étant stable et qu’il ne présentait aucun signe de psychose au cours de l’année où il a été son patient. Bien qu’il ait été difficile à gérer, elle a noté que Brouillard Lessard a accepté plusieurs augmentations de la dose de ses médicaments antipsychotiques et a pu occuper plusieurs emplois. Elle a dit avoir eu de la difficulté à joindre Brouillard Lessard entre avril et octobre 2022 parce qu’il travaillait.

La coroner Géhane Kamel a soulevé des questions sur cet écart de plusieurs mois, étant donné que Brouillard Lessard était sous la surveillance de la Commission d’examen des troubles mentaux du Québec depuis 2014, après avoir été déclaré non criminellement responsable de cinq infractions.

« Il aurait été préférable qu’il y ait des rendez-vous », a reconnu Mme Poirier.

Quel filet de sécurité pour l’assaillant ?

Le comportement erratique de Brouillard Lessard a mené à la fermeture de son dossier en décembre 2023 par une équipe d’intervenants qui le suivait depuis un an.

L’équipe a décidé d’y mettre un terme parce que Brouillard Lessard ne collaborait pas, était difficile à gérer et avait souvent refusé les services qui lui étaient proposés.

Marie-Maude Beaulieu, intervenante au sein de cette équipe, a déclaré que même s’il avait refusé les services des intervenants, Brouillard Lessard était stable, sans rechutes psychotiques ni incident criminel documentés au cours de l’année 2022. « Lorsque nous avons fermé le dossier, nous n’avions pas aucune inquiétude pour Isaac », a déclaré Mme Beaulieu.

Géhane Kamel a fait part de ses inquiétudes quant au fait qu’il n’y avait aucun filet de sécurité pour Brouillard Lessard – autre que ses parents, qui surveillaient sa santé mentale à distance et appelaient les autorités pour faire part de leurs inquiétudes.

« Nous ne pouvons pas suivre tous ceux qui ont un passé criminel », a argué Mme Beaulieu. « C’est utopique de penser que les travailleurs sociaux peuvent toujours faire une différence. C’est un lourd fardeau sur le dos de ces travailleurs », a-t-elle ajouté.