Une dame de 92 ans victime d’un homme qui se faisait passer pour un enquêteur a perdu 9500 $ en novembre dernier. Colette Boucher a craint de ne pas se faire rembourser par sa banque, en plus de vivre avec les séquelles psychologiques de cette fraude de type « faux représentant », un fléau en hausse ciblant des aînés vulnérables.

Colette Boucher a 9500 $ de moins dans son compte de banque depuis le 9 novembre. L’enquêteur qui s’est présenté à elle le mois dernier était en fait un voleur prêt à lui voler ses dernières économies.

Elle connaissait ce stratagème de fraude, celui du faux représentant, où un individu se fait passer pour un policier ou un inspecteur de la banque. « Mais jamais je n’aurais cru que c’était si élaboré », dit-elle.

Un crime qualifié de « lourd et odieux » par un juge de la Cour du Québec il y a deux semaines. « Voler des personnes âgées, c’est odieux. Je ne sais pas quoi dire à part que ça me renverse, le manque de morale », avait dit le juge Pierre Bélisle à un jeune fraudeur qui avait dérobé des milliers de dollars à des aînés en usant de ce stratagème.

Un appel d’un « inspecteur »

Le cauchemar de Mme Boucher a commencé par un appel en début d’après-midi.

« Madame Boucher, avez-vous fait un achat de 500 $ au Jean Coutu ? », lui a demandé un inconnu au téléphone.

La voix, celle d’un homme au vocabulaire irréprochable, est rassurante, confiante, envoûtante, se remémore la Montréalaise. « Il était convaincant. En plus, j’étais fatiguée, je sortais de ma sieste », explique la femme de 92 ans.

Elle a été victime d’une fraude et un employé de la banque serait impliqué, lui a annoncé l’« inspecteur », ajoutant qu’il fallait l’aider à mener cette enquête « ultra confidentielle ».

« Il me dit que je dois garder ça pour moi, sinon ça pourrait nuire à l’enquête », raconte Colette Boucher.

L’homme lui a alors dit de s’habiller. « On va mettre votre argent en sécurité. Un taxi vous attend en bas de chez vous », a indiqué l’homme au bout du fil.

La dame a raccroché et s’est ruée devant son logement, situé dans une résidence pour personnes âgées de l’est de Montréal.

« Je suis partie sans ma canne. Je me dépêchais. »

La conversation téléphonique avec le faux policier s’est poursuivie dans le taxi. Le chauffeur avait son propre cellulaire sur main libre. C’est ainsi que le fraudeur a pu lui donner ses instructions.

« On va se rendre à votre banque, vous allez retirer 4500 $. Dites que c’est pour payer les rénovations de votre appartement », a suggéré le jeune homme au téléphone.

Mme Boucher s’est rapidement exécutée au comptoir de la Banque Nationale, sans mentionner à l’employée l’enquête secrète inventée de toutes pièces par le fraudeur.

Hypnotisée par la voix au téléphone, elle n’a pas pensé à appeler ses enfants, confie-t-elle. « J’agissais comme un pantin, un automate. C’était comme s’il me contrôlait. »

Un deuxième retrait

Et c’était loin d’être terminé. « On va faire un deuxième retrait », lui a indiqué le jeune homme, toujours en ligne sur le téléphone du chauffeur de taxi.

Colette Boucher a donc été reconduite devant son logement pour aller chercher son sac à main, avant de se rendre à une autre succursale de sa banque. Cette fois, le fraudeur lui a demandé de retirer l’équivalent de près de 5000 $ canadiens en argent américain. « Dites que c’est pour envoyer à votre fille qui est en vacances », lui a proposé l’imposteur.

Le deuxième retrait s’est fait en un clin d’œil, sans qu’on lui pose aucune question sur sa transaction précédente.

C’est pas mêlant, c’était digne d’un film. J’avais les poches pleines d’argent américain dans le taxi.

Colette Boucher, victime de fraude

Une heure après l’appel initial qui l’avait sortie de sa sieste, le chauffeur l’a déposée au pas de sa porte. Il était complice, soupçonne Mme Boucher. « Je me revois encore lui donner son pourboire. Je le prenais vraiment pour un gars honnête. »

Le fraudeur l’a recontactée peu après son retour. « Mettez l’argent dans une enveloppe, on va venir la chercher », lui a-t-il dit.

Il s’est présenté à quelques mètres de la résidence pour personnes âgées, à l’abri des regards et des caméras de surveillance. « Un beau jeune homme. Bien habillé, bien propre. J’étais rendue fatiguée. Je lui ai donné l’enveloppe », raconte Mme Boucher.

Elle s’est rendu compte de l’arnaque après plusieurs conversations avec ses enfants. Sa fille a tenté sans succès de parler au fraudeur, qui n’avait jamais masqué son numéro de téléphone.

Ce dernier est allé jusqu’à recontacter Mme Boucher le lendemain. « Il me parlait encore avec sa voix douce. Il m’a demandé ce qui s’était passé, pourquoi j’en avais parlé. »

Des semaines plus tard, Mme Boucher a aperçu un véhicule familier stationné dans sa rue. « Je n’en revenais pas ! C’était le taxi avec le même chauffeur ! »

Le conducteur rôdait autour de la résidence pour aînés. Une dame âgée et sa nièce s’apprêtaient à monter dans la voiture. Colette Boucher les a convaincues de ne pas le faire.

« Tellement fréquent que c’est banal »

Mme Boucher a craint de ne jamais ravoir son argent. La banque a d’abord refusé de la rembourser puisqu’elle était « apte et consentante », lui a-t-on fait valoir.

« Les fraudes sont devenues tellement fréquentes que c’est banal. C’est rendu qu’on s’en lave les mains », s’insurge Lucie Desgagnés, fille de Colette Boucher, en entrevue téléphonique avec La Presse.

Le fardeau est complètement sur les épaules de la victime et de sa famille, déplore-t-elle.

La banque n’a pas empêché sa mère de se procurer deux grosses sommes en argent comptant en moins d’une heure, note sa fille. Tout s’est fait au comptoir. Quelqu’un aurait dû lever un drapeau rouge lors du second retrait, pense-t-elle.

La Presse a contacté la Banque Nationale pour comprendre la raison de son refus et pourquoi le second retrait avait été autorisé. Quelques heures plus tard, elle a annoncé qu’elle rembourserait finalement Mme Boucher.

« À la lumière des faits portés à notre attention, la Banque a décidé de procéder au remboursement », nous a répondu Alexandre Guay, du service des affaires publiques.

En temps normal, il y a un processus de vérification en place lors de ce type de situation pour détecter les transactions frauduleuses, a-t-il expliqué.

Malgré son soulagement, Mme Boucher a peu d’espoir que le ou les malfaiteurs soient arrêtés. L’enquêteur – le vrai, cette fois-ci – l’a prévenue : ce genre de dossier prend beaucoup de temps.

« J’ai l’impression d’être une toute petite enquête de rien », se désole la dame de 92 ans.

Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) assure que ces enquêtes sont prises très au sérieux. « Nous ne ménageons pas nos efforts pour nous y attaquer, en répression comme en prévention. »

Le corps de police recommande de ne jamais donner de renseignements personnels au téléphone et de ne pas se fier à ce qui est indiqué sur l’afficheur. Certains fraudeurs y font apparaître le nom de la banque. « Dans le doute, il est possible de noter les informations de la personne, de raccrocher et de communiquer soi-même avec son institution financière. »

Embarrassée d’avoir été bernée

Déni, culpabilité, colère, insécurité, méfiance, hypervigilance : Mme Boucher est passée par une vaste gamme d’émotions depuis la fraude.

Je me sens coupable, ça n’a pas de bon sens ! Je me disais : “Pourquoi je l’ai cru ?” Mais on m’a dit que je n’étais pas la seule.

Colette Boucher

Elle a d’abord nié qu’il s’agissait d’une fraude. Mais il fallait se rendre à l’évidence : malgré son récit bien ficelé, le jeune homme au vocabulaire impeccable n’était pas un enquêteur.

Son histoire aidera peut-être d’autres personnes âgées à ne pas tomber dans le piège, espère Colette Boucher. Les fraudes sont répandues, mais leurs impacts sont sous-estimés, croit-elle. Elles devraient être prises au sérieux par les banques et les autorités, juge-t-elle.

« Ma mère est très lucide pour son âge. Mais les fraudeurs mettent des personnes âgées dans un état de stress et d’anxiété. Leurs scénarios sont réalistes et raffinés », résume Lucie Desgagnés.

Malgré l’épisode troublant de novembre dernier, Mme Boucher garde le moral. « Je n’ai pas peur, je ne suis pas de nature anxieuse. Je prie chaque matin. »

Colette Boucher est loin d’être la seule à avoir été bernée. Depuis le début de l’année, déjà 400 personnes ont porté plainte au SPVM, disant avoir été victimes d’une fraude de type faux représentant. Plus largement, le corps de police constate une hausse de 8 % des fraudes en 2023 dans la métropole. De janvier à la fin de septembre, pas moins de 7487 cas lui ont été signalés.

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