Des personnes âgées auraient perdu des centaines de milliers de dollars aux mains du réseau de fraudeurs démantelé mercredi

Le réseau de fraudeurs de type grands-parents démantelé mercredi par la Sûreté du Québec (SQ) a fait aux États-Unis d’innombrables victimes âgées pour qui les plaies sont encore bien vives.

« Avec un gros morceau de pension disparu, cela signifie que je pourrai moins profiter de bonnes choses durant mes dernières années […] Je suis un camionneur à la retraite et je viens d’avoir 87 ans. J’ai des ennuis de santé liés à mon âge et je ne peux pas retourner travailler. La perte de 150 000 $ de ma modeste retraite signifie que je devrai surveiller mes dépenses », a raconté devant un tribunal américain cette victime de fraudeurs qui communiquaient, à partir du Canada, avec des personnes âgées aux États-Unis.

La Presse a trouvé dans les dossiers des tribunaux fédéraux américains plusieurs témoignages de victimes présumées du réseau de fraudeurs présumément relié à la mafia montréalaise étrillé par la SQ mercredi.

Selon la preuve présentée devant les tribunaux américains par le FBI, le réseau comptait sur un patron aux États-Unis, Medard Ulysse, qui organisait des équipes volantes de collecteurs d’argent. L’homme a été décrit comme un tyran, violent, exigeant, et le seul membre du volet américain de la fraude qui faisait beaucoup d’argent et roulait en voiture de luxe.

Ses équipes de collecteurs formées de petits criminels se déplaçaient d’une grande ville à l’autre : Miami, Washington, Baltimore, Indianapolis. Arrivés sur place, ils repéraient des résidences vacantes.

À partir du Canada, les fraudeurs contactaient ensuite des personnes âgées dans la région : des septuagénaires, octogénaires, nonagénaires, retraités de tous les horizons, qu’ils soient anciens ouvriers, enseignants, même un ingénieur retraité spécialiste des sous-marins nucléaires.

Petit-fils en eaux troubles

Les victimes se faisaient dire que leur petit-fils avait besoin urgent d’une somme d’argent comptant, en raison d’un accident, d’une arrestation ou d’une procédure judiciaire. Les fraudeurs leur donnaient l’adresse d’une maison vacante et demandaient qu’ils envoient l’argent par un service de livraison comme UPS ou FedEx. Un complice du réseau ramassait alors le colis dès la livraison. Chaque collecteur pouvait ramasser jusqu’à 100 colis par semaine dans une ville. Ensuite, tout le monde disparaissait sans laisser de traces et passait à la ville suivante.

Les collecteurs devaient se filmer lorsqu’ils ouvraient les colis et envoyer la vidéo à un de leurs supérieurs, pour s’assurer qu’ils ne pigeaient pas dans la caisse. Un accusé a reconnu devant la cour qu’il avait souvent été chargé de ramasser tout le fruit des fraudes dans une ville au bénéfice des grands patrons du réseau, dont il ignorait l’identité. La cagnotte atteignait facilement 200 000 $, voire 300 000 $ pour une semaine, et parfois jusqu’à 600 000 $, pour une seule équipe.

Cet accusé a raconté qu’il apportait fréquemment des centaines de milliers de dollars à ces chefs qui l’attendaient dans des hôtels de luxe avec une machine à compter les billets. Pour les grandes villes de la côte Est, l’argent était souvent apporté à un bijoutier de Manhattan qu’un enquêteur du FBI a décrit comme un blanchisseur d’argent.

En 2019, selon ce qu’a raconté un accusé américain devenu collaborateur de justice, les patrons du Canada se sont rendu compte qu’il manquait 400 000 $ dans la cagnotte et ont commencé à chercher le responsable de la perte, ce qui a semé l’inquiétude chez les collecteurs.

David Green, un collecteur de 25 ans qui a plaidé coupable dans ce dossier, a raconté à un juge américain qu’un membre du réseau âgé de 28 ans l’avait informé que « ce stratagème fonctionne depuis longtemps et qu’il est possiblement plus vieux que moi et lui ».

L’ombre de la mafia

Mercredi, en collaboration avec plusieurs corps de police et organismes d’application de la loi américains, dont le FBI, les enquêteurs de la Sûreté du Québec ont arrêté 13 individus de la grande région de Montréal présumément impliqués dans ce réseau de fraude de type grands-parents qui serait relié au crime organisé montréalais, en particulier à la mafia.

Selon la police, certains suspects vendaient des listes de noms de victimes potentielles, et la fraude s’élèverait à au moins 10 millions, d’après nos informations.

Les suspects appréhendés mercredi sont David Anthony Di Rienzo, 30 ans, de Laval, Tenaj Johnson, 28 ans, de Pierrefonds, Paul Létourneau, 26 ans, de l’arrondissement de Saint-Léonard, Mason Pereira-Walker, 28 ans, de Dorval, Steven Petruzziello, 30 ans, de Montréal, Joshua Sarroino, 29 ans, de Montréal, Carson Sean Vaudry, 28 ans, de Montréal, Luca Savvidis, 29 ans, de l’arrondissement de Saint-Laurent, Manuel-Alexandre D’Astoli, 26 ans, de Laval, Jordan Fogel, 33 ans, de Laval, Christian Valdez, 29 ans, de Chambly, Jason Anthony Aqui, 43 ans, de l’arrondissement de Saint-Laurent, et Dia Pettas, 27 ans, de Kirkland.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Un des suspects arrêtés mercredi, Christian Valdez, lors de son transport au quartier général de la SQ, rue Parthenais à Montréal

Di Rienzo, Johnson, Pereira-Walker, Sarroino et Vaudry font face à des chefs de gangstérisme, de complot et de fraude et de tentative de fraude de plus de 5000 $.

Les autres sont accusés de fraude de plus de 5000 $ et de possession d’informations personnelles dans le but de commettre une fraude, et certains de complot et de tentative de fraude. Ils seront jugés à Montréal. Ils ont tous été libérés provisoirement sous conditions.

La table

Fait à noter, l’un des suspects appréhendés, Joshua Sarroino, avait été accusé du meurtre prémédité d’Éric Francis De Souza, 24 ans, commis dans un restaurant du quartier DIX30 à Brossard en mai 2019, mais avait été acquitté en juin après un procès devant jury. La poursuite a ensuite porté la cause en appel.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Joshua Sarroino lors de son arrivée au quartier général de la SQ mercredi matin à Montréal

Lorsqu’il a été tué, Éric Francis De Souza était attablé en compagnie de onze autres individus, dont trois ont également été arrêtés mercredi matin : Lucas Savvidis, Christian Valdez et Steven Petruzziello.

PHOTO DÉPOSÉE DURANT LE PROCÈS POUR MEURTRE DE JOSHUA SARROINO.

Onze autres individus mangeaient avec Éric Francis De Souza (en haut, à l’extrême gauche de la table) lorsqu’il a été tué, dont trois individus appréhendés mercredi : Luca Savvidis, Christian Valdez et Steven Petruzziello.

Quant à David Anthony Di Rienzo, il n’était pas présent au repas, mais il s’était rendu au chevet d’Éric Francis De Souza à l’hôpital, le soir des évènements, selon des plaidoiries entendues hors jury durant le procès de Sarroino.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.

D’autres témoignages de victimes devant les tribunaux américains

« Au moment du crime, j’étais à la retraite et j’avais des revenus très limités. L’incident m’a causé un grand stress et maintenant, j’ai du mal à faire confiance. Depuis, plusieurs choses ont changé. J’ai arrêté de répondre au téléphone et j’ai emménagé avec ma fille et sa famille. J’ai 84 ans et tout de suite après le crime, je n’étais plus à l’aise d’habiter seule. »

« J’ai perdu d’innombrables nuits de sommeil en raison de cette situation et j’ai dû aller en thérapie pour plus d’un an et j’ai pris des médicaments pour mon estomac et pour gérer la peur de voir cela arriver à nouveau. Je ne réponds plus au téléphone si je ne sais pas qui appelle. »

« À ce jour, je fais des cauchemars et je n’ai pas confiance pour répondre au téléphone. J’ai dû sortir mes économies. »