Louise Avon a été tuée par son conjoint en mars 2022 dans les Laurentides. Il vient de recevoir sa peine : huit ans de prison. Aujourd’hui, la fille de la victime déplore des procédures judiciaires « déshumanisantes ». Et ce lourd fardeau qu’elle porte : empêcher l’homme responsable de la mort violente de sa mère d’hériter de son patrimoine.

L’histoire jusqu’ici

• Pascal Arseneault, 50 ans, a tué sa conjointe en mars 2022 à Sainte-Agathe-des-Monts.

• Il a poignardé la victime de 64 ans à plusieurs reprises, puis a mis le feu à leur résidence. Il était en pleine psychose induite par une forte consommation de crack, selon les faits énoncés en cour.

• Les policiers étaient intervenus 13 fois auprès de l’accusé dans les mois ayant précédé l’homicide, sans l’arrêter.

• D’abord accusé de meurtre au second degré, Pascal Arseneault a plaidé coupable à un chef réduit d’homicide involontaire en mars dernier. Il a été condamné le 31 mai à une suggestion commune de huit ans de prison.

Des souvenirs réduits en cendres

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Le corps de Louise Avon est transporté par des intervenants près de sa résidence de Sainte-Agathe-des-Monts, au lendemain de sa mort, le 1er avril 2022.

Quand Alexandra Avon est retournée dans la résidence de sa mère quelques jours après sa mort, il n’y avait plus rien. La maison et tous les effets personnels de sa mère avaient brûlé. Tous les souvenirs marquants de la vie de Mme Avon ont été réduits en cendres. Sauf deux mangeoires pour oiseaux.

« C’est tout ce qu’il me reste de ma mère. Deux cabanes à oiseaux », laisse-t-elle tomber en pleurant. Les yeux embués par les larmes n’empêchent pas Alexandra Avon de livrer son récit avec aplomb.

PHOTO TIRÉE D’UNE PAGE GOFUNDME POUR LOUISE AVON

Louise Avon

Pendant les six mois qui ont précédé la tragédie, les policiers sont intervenus 13 fois auprès de Pascal Arseneault en raison de son « état mental perturbé », selon les faits présentés en cour. Il se promène en criant, détruit des objets à coups de couteau, attaque sa maison à coups de sabre ou se promène armé de haches, croit que sa femme est un robot. Il évoque une relation de couple « toxique », décrivant la victime comme « jalouse et possessive ».

Le jour de l’homicide, après avoir consommé du crack, il prend deux couteaux dans la cuisine et poignarde sa conjointe neuf fois. Il met le feu à leur résidence, puis sort regarder le brasier, sans appeler les secours. Louise Avon était toujours en vie.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE FACEBOOK DE LOUISE AVON

Pascal Arseneault en 2012

Pour les procureurs et le juge, le dossier est réglé : homicide involontaire, huit ans de prison. Mais pour Mme Avon, une énième bataille s’amorce : Pascal Arseneault héritera de toutes les économies de sa victime, puisqu’il est encore sur le testament. Pour prouver qu’il est indigne d’hériter, il faut passer par des procédures civiles.

« Je dois me battre pour lui redonner la dignité qu’elle n’a pas eue », explique la fille de la défunte.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Pascal Arseneault a mis le feu à la résidence de Sainte-Agathe-des-Monts.

Les peines d’homicide involontaire et de meurtres ne sont pas suffisantes pour garantir qu’un criminel n’ait pas droit à un héritage. Alexandra Avon doit payer des avocats de sa poche au civil pour qu’il ne touche pas aux avoirs de sa victime.

« C’est une grosse faille dans notre système que ce ne soit pas automatique », juge-t-elle.

« Six ans pour déménager »

« J’ai six ans pour déménager » : cette pensée troublante traverse l’esprit d’Alexandra Avon après avoir entendu le verdict, soit huit ans d’incarcération. L’homme sera libéré aux deux tiers de sa peine, présume la jeune femme.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, LA PRESSE

Alexandra Avon, fille de Louise Avon

Je suis en train de me battre avec lui pour l’héritage et il connaît mon adresse. Rien ne me dit qu’il ne va pas rechuter à sa sortie et que sa colère ne sera pas dirigée sur moi cette fois-ci.

Alexandra Avon

Elle a déjà obtenu le statut de liquidatrice des biens de sa mère, ce qui lui permet d’entamer les procédures pour déshériter Pascal Arseneault. Ces procédures ont duré un an. Une année où elle a déboursé près de 1000 $ par mois en frais d’avocats.

« Je me faisais dire que sans ce statut-là, je ne valais pas mieux qu’une voisine. J’ai l’impression que le statut de victime est passé de ma mère à moi, et j’ai le sentiment de vivre la même indifférence qu’elle a vécue », résume la jeune femme.

Lisez l’article « Homicide de Louise Avon : L’État a “lamentablement échoué”, tranche le juge » Lisez l’article « Il tue sa conjointe, croyant qu’elle était un “robot” »

Une justice déconnectée

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, LA PRESSE

Alexandra Avon, fille de Louise Avon

Un règlement plutôt qu’un procès, une peine clémente, des « rapports difficiles » avec les procureurs, les œillères de certains policiers : Alexandra Avon décrit un appareil judiciaire déshumanisant et impersonnel.

« Avec huit ans de prison, je trouve quand même qu’il s’en tire bien », souligne la fille de la défunte.

Cette peine clémente la perturbe. Les juges sont généralement tenus d’accepter les suggestions communes. « En tant que victime, on m’arrache mon histoire, dit-elle. On n’a pas vraiment tenu compte de ma mère. Un règlement, c’est un peu comme accepter la version du tueur comme la version véridique. »

J’ai l’impression d’avoir assisté à un spectacle plutôt qu’à l’exécution d’une forme de justice. Mon expérience est tellement éloignée de ce qui a été présenté et mentionné en cour que je me sens complètement détachée du verdict.

Alexandra Avon

Ses rapports avec les procureurs ont été « difficiles », estime-t-elle. Chaque fois qu’elle parlait des conséquences du crime ou de ce qu’elle avait à vivre en tant que victime, les procureurs lui répétaient « qu’ils ne tenaient pas compte de ça et qu’ils n’étaient pas là pour la représenter », précise-t-elle.

Elle a eu peu de rencontres avec les procureurs pour discuter du dossier. « L’une d’elles était sur Teams », laisse-t-elle tomber. Elle garde un mauvais souvenir de ce dernier contact quelques mois après le dépôt des accusations.

L’un des procureurs saisis du dossier a « une bonne nouvelle », lui annonce-t-il d’entrée de jeu. Elle l’écoute d’une oreille attentive devant son écran d’ordinateur quand il annonce que le dossier a été réglé : il n’y aura pas de procès. « C’est juste que c’est pas un meurtre, c’est un homicide involontaire », lui dit-on.

Elle juge insensible que le procureur ait donné sans l’avertir une entrevue à la télévision le jour même du dénouement de l’affaire. Il décrit alors Pascal Arseneault comme un homme qui avait été changé par la justice, coopératif et regrettant ses gestes. « C’est difficile de voir la personne responsable du dossier de ma mère prendre publiquement la parole pour dire ça. C’est facile de dire qu’on regrette ses gestes au moment où on essaie de bénéficier d’une peine clémente. »

Le DPCP réagit

Contacté par La Presse, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) s’est dit « sensible à ce que vit la fille de madame Avon ».

La décision d’accepter que l’accusé plaide coupable d’homicide involontaire est le fruit d’une analyse rigoureuse, explique Audrey Roy-Cloutier, porte-parole du DPCP. L’accusé a été reconnu criminellement responsable de la mort de Louise Avon et une peine lui a été imposée. « Considérant l’expertise psychiatrique déposée, l’intention spécifique requise pour un meurtre au deuxième degré ne pouvait être prouvée hors de tout doute raisonnable, ce qui a mené au plaidoyer de culpabilité pour un homicide involontaire », explique la porte-parole.

Des efforts ont été faits pour accompagner la famille de la victime. « Malgré la mise en place de plusieurs mesures pour tenter de lui offrir le meilleur accompagnement possible dans le cadre des procédures judiciaires, notamment en collaboration avec le CAVAC et les enquêteurs, le ressenti de la fille de madame Avon demeure et nous sommes réceptifs à ce qu’elle exprime. »

Contexte de violence conjugale

La santé mentale et la consommation ont le dos large dans cette affaire, pense Alexandra Avon.

Est-ce que tous les hommes qui consomment rabaissent, contrôlent, puis tuent leur conjointe ? s’interroge-t-elle.

Tout tournait autour de lui. On ne mentionne jamais ma mère et sa souffrance et sa peur. Elle est invisible.

Alexandra Avon

En ne tenant pas compte du volet violence conjugale de cette affaire, la justice ne rend pas service à la société, selon elle.

Il faut mettre un bémol à la défense d’intoxication volontaire dans un contexte de violence conjugale. « Je ne vais pas nier qu’il y avait une problématique de consommation dans cette histoire, mais j’ai l’impression qu’on s’en sert un peu pour dédouaner et déresponsabiliser une personne qui a bénéficié d’un nombre phénoménal de chances avant de se retrouver en prison. »

Dans sa décision du 31 mai, le juge Sylvain Lépine dénonce d’ailleurs l’absence de coordination entre les interactions des policiers et le service de santé. Selon lui, « l’État a lamentablement échoué dans son rôle de protection du public ». « Une prise en charge de l’accusé aurait dû être mise en action pour éviter un tel drame », avait conclu le juge Lépine.

Des angles morts

Plus d’une dizaine de visites des policiers dans un domicile où régnait la terreur. Aucune incarcération. Pas même une mention du terme « violence conjugale » : Alexandra Avon s’étonne que sa mère n’ait pas été traitée comme une victime qui avait besoin d’aide.

Les policiers sont intervenus à 13 reprises chez Mme Avon, selon les faits présentés en cour.

La situation ne représentait pas de la violence conjugale aux yeux de la police, résume Alexandra Avon. « On parle de quelqu’un qui détruisait des trucs à coups de couteau. Il mentionnait aux policiers des disputes avec ma mère. Il la tenait responsable de sa consommation. »

Les agents insistaient : comme il détruisait des biens lui appartenant, ils ne pouvaient pas l’accuser. Jamais sa mère ne s’est fait dire qu’elle était victime d’un conjoint agressif avec un fort potentiel que ça dégénère, tranche-t-elle. C’était plutôt Pascal Arseneault, troublé par des problèmes liés aux drogues dures, qui était au cœur des préoccupations.

La notion de violence conjugale a été évacuée dès le début, s’indigne la fille endeuillée. « Mais il antagonisait ma mère. »

Ce qui ronge Alexandra Avon, c’est tout le système travaillant en vase clos, sans prendre en compte la souffrance des femmes tuées et de leur famille qui ramassent les morceaux. Les policiers estimaient que sa mère n’avait qu’à faire des démarches pour que Pascal Arseneault soit placé, les hôpitaux tenaient pour acquis qu’un jour l’homme allait suivre un traitement, les procureurs lui assurent que tout va bien se passer pour l’héritage… « Mais finalement dans cette histoire, rien ne s’est bien passé. C’est bien beau de parler de tragédies, mais si aucune mesure n’est prise, elles sont vouées à se répéter. »

La peur au ventre

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

La résidence de Sainte-Agathe-des-Monts où est survenu le drame de mars 2022

Louise Avon a vécu avec un homme violent pendant les six mois ayant suivi sa rechute. Sa fille n’a jamais pu témoigner du calvaire de sa maman. La Presse le raconte à travers des conversations par textos entre Alexandra Avon et sa mère.

Octobre 2021

Louise Avon et Pascal Arseneault vivent ensemble depuis 12 ans. Durant la pandémie, leur relation et l’état mental de Pascal se détériorent, se souvient Alexandra Avon. Il n’a pas encore repris sa consommation à ce moment-là. Les restrictions liées à la pandémie le dérangent, alors que sa conjointe insiste pour les respecter à la lettre.

« Il a commencé par être plus détaché émotionnellement envers ma mère. Il s’est mis à dire qu’elle était trop contrôlante pour lui. Ensuite, quand il a recommencé à consommer, il lui reprochait tout. »

La violence dans un couple ne se limite pas à des blessures physiques, souligne-t-elle. Il y a une notion de contrôle financier et psychologique. De se sentir piégée quelque part où on est en danger.

6 janvier 2022

  • CAPTURE D’ÉCRAN FOURNIE 
PAR ALEXANDRA AVON

  • CAPTURE D’ÉCRAN FOURNIE PAR ALEXANDRA AVON

  • CAPTURE D’ÉCRAN FOURNIE PAR ALEXANDRA AVON

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Louise Avon confie la troublante situation à sa fille : Pascal Arseneault est de plus en plus violent. Impossible de l’hospitaliser plus d’une journée. Il est renvoyé à la maison à sa sortie. Il se calme et collabore lors de chaque intervention policière. Puis le manège continue : Louise Avon doit composer avec un homme imprévisible qui demeure chez elle.

11 janvier 2022

CAPTURE D’ÉCRAN FOURNIE PAR ALEXANDRA AVON

Pascal Arseneault accuse sa conjointe de profiter de lui. En réalité, elle a travaillé bénévolement pour lui pendant deux ans dans son entreprise d’entretien paysager. « Il ne lui versait pas de salaire, car il disait qu’elle travaillait beaucoup moins que lui », précise à La Presse Alexandra Avon, fille de la victime.

12 janvier 2022

  • CAPTURE D’ÉCRAN FOURNIE 
PAR ALEXANDRA AVON

  • CAPTURE D’ÉCRAN FOURNIE PAR ALEXANDRA AVON

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Louise Avon est une fois de plus aux prises avec l’instabilité et l’agressivité de son partenaire. Récit troublant de la visite des policiers chez elle : les agents discutent avec Pascal Arseneault à l’intérieur du domicile. On dit à sa conjointe d’attendre dehors. Il fait -25 °C ce soir-là. « C’est pas lui la victime c’est moi kalis », écrit-elle. Elle se sent trop en danger pour se séparer de son conjoint, craignant des représailles lorsqu’il est relâché de l’hôpital.

12 mars 2022

CAPTURE D’ÉCRAN FOURNIE 
PAR ALEXANDRA AVON

« Tout le monde s’occupe de [Pascal] » : Louise Avon n’a pourtant aucune option où on garantit sa sécurité à elle, déplore sa fille. La police lui conseille d’aller au CLSC pour une évaluation psychiatrique de l’homme. Elle vit dans la peur, mais doit faire les démarches elle-même, quitte à ce que son conjoint la blâme par la suite et se venge. « Ce que ma mère savait, c’est que Pascal finissait invariablement par revenir à la maison malgré toutes les interventions », explique aujourd’hui sa fille.

26 mars 2022

  • CAPTURE D’ÉCRAN FOURNIE PAR ALEXANDRA AVON

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Pascal Arseneault refuse de se faire soigner. Les portes tournantes du système de santé inquiètent de plus en plus Louise Avon : il est constamment pris en charge, puis revient à la maison, où sa conjointe habite toujours. Il va « finir par tuer quelqu’un », écrit-elle.

31 mars 2022

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Périmètre de sécurité mis en place autour du domicile de Louise Avon après le drame survenu à Sainte-Agathe-des-Monts, en mars 2022

Louise Avon, 64 ans, meurt poignardée par Pascal Arseneault. Il est aussitôt arrêté.