L’enfant de deux ans avait fait l’objet d’un signalement à la DPJ

Le jeune Thomas Audet, mort d’un coup à l’abdomen infligé dans des circonstances nébuleuses en 2016, aurait dû faire l’objet d’un traitement prioritaire par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) en raison de nombreux « drapeaux rouges » entourant son cas, estime une coroner qui recommande la mise en place d’une « mesure d’exception » pour tout enfant âgé de 5 ans et moins.

Dans son rapport sur ce drame survenu le 18 juin 2016, à Alma, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, Géhane Kamel plaide également pour un meilleur financement de l’organisme dont les intervenants sont toujours aux prises avec une charge de travail et un fardeau administratif trop importants, malgré les recommandations de la commission Laurent.

« La situation de pénurie de main-d’œuvre et l’attraction des intervenants vers un milieu comme la DPJ demeurent un défi de taille. En 2016, c’était un budget famélique avec lequel les directions devaient manœuvrer. Aujourd’hui, c’est l’exode des intervenants », y déclare-t-elle.

Dans ce contexte, la coroner Géhane Kamel recommande donc l’implantation, à la DPJ, d’une « mesure d’exception » indiquant que tous les enfants âgés de 5 ans et moins qui font l’objet d’un signalement « doivent faire l’objet d’une évaluation sans délai et d’un suivi journalier de la situation ».

Une priorité insuffisante

C’est que le cas de Thomas Audet avait reçu un code de priorité 3 à la suite d’un signalement reçu par la DPJ le 17 mai 2016, environ un mois avant sa mort. Son cas s’était donc retrouvé sur une liste d’attente et le petit est mort la veille de son assignation à un intervenant.

« Des blessures fréquentes en si peu de temps, le fait que l’enfant ne soit pas présent lors de la rencontre d’évaluation de la DPJ, le fait que le père n’ait pas été joint par les intervenants lors de l’évaluation, le fait que le dossier de prise en charge de l’enfant du conjoint n’a pas été pris en compte à sa juste valeur lors de l’évaluation du signalement […] sont autant de facteurs qui auraient dû créer une suspicion favorable pour la protection de l’enfant », énumère Géhane Kamel.

Dans ce contexte, un code de priorité 1, selon lequel les intervenants de la DPJ évaluent l’enfant dans un délai de 24 à 48 heures, aurait dû lui être attribué, juge la coroner.

« L’attribution du dossier n’aurait pas été un enjeu et Thomas aurait pu bénéficier d’une évaluation dans les temps requis », peut-on lire dans son rapport.

La coroner recommande également au Collège des médecins de rappeler à ses membres qu’ils sont tenus, par la Loi sur la protection de la jeunesse, de signaler sans délai à la DPJ tout soupçon quant à un possible cas de maltraitance à l’endroit d’un enfant.

Une blessure nébuleuse

Thomas Audet est mort le 18 juin 2016 après avoir subi plusieurs blessures. Il avait été trouvé sans connaissance par son beau-père dans l’appartement que ce dernier partageait avec la mère de l’enfant.

PHOTO ARCHIVES LE QUOTIDIEN

La tombe de Thomas Audet

D’abord associée à une chute à vélo la veille, une hypothèse balayée lors de l’enquête publique par une chirurgienne pédiatrique et la personne responsable de l’autopsie, la source du traumatisme abdominal contondant responsable de la mort de Thomas Audet reste à ce jour inconnue.

De façon caractéristique, cette lésion est associée à un coup direct (coup de pied, coup de poing) ou indirectement par contact lors d’une chute sur un objet contondant, telle l’extrémité de la poignée d’une bicyclette ou tout autre objet.

Extrait du rapport de la coroner Géhane Kamel

Des accusations avaient été déposées à l’endroit du beau-père de Thomas Audet, Maxime Patry. Celles-ci ont toutefois été retirées par le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) en septembre 2021 après le désistement d’un témoin. Le DPCP disposait d’un an pour réactiver le dossier, mais ne l’a pas fait.

Des recommandations saluées

Alors que la liste d’attente pour l’évaluation atteint de nouveaux sommets à la DPJ1, le syndicat qui rassemble ses intervenants, l’Alliance du personnel professionnel et technique en santé et services sociaux (APTS), dit accueillir favorablement les recommandations de la coroner.

« Le décès de Thomas Audet est un rappel tragique que derrière les signalements en attente d’évaluation par la DPJ, il y a des enfants vivant dans des conditions très dangereuses. Particulièrement pour des enfants de moins de 5 ans », indique son président, Robert Comeau.

Ce dernier appelle également le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, à mettre en place les recommandations du rapport Laurent, écrit dans la foulée du meurtre d’une fillette de 7 ans à Granby en 20192, qui se font toujours attendre sur le terrain. « Les enfants du Québec ont trop attendu », tranche Robert Comeau.

Le cabinet du ministre Carmant a fait savoir lundi soir qu’il accueille avec « intérêt » le rapport de la coroner qu’il compte utiliser pour « continuer le chantier important qu’est la réforme de la protection de la jeunesse ».

« La situation a beaucoup évolué depuis ces évènements : hausse majeure du financement en protection de la jeunesse, ajouts d’intervenantes et modification de la loi pour mettre l’intérêt de l’enfant au cœur des décisions. On tient aussi à rappeler le travail quotidien des intervenantes qui se dévouent à la cause de nos enfants et qui interviennent quotidiennement pour leur bien-être », a indiqué son attaché de presse Lambert Drainville.

1 Lisez l’article : « DPJ : une liste d’attente record » 2 Lisez l’article : « Rapport de la Commission Laurent : garantir “une famille pour la vie” »