La DPJ et la justice naviguent à vue dans le dossier d’une famille recomposée de Chaudière-Appalaches où deux bébés sont morts coup sur coup dans les dernières années, a appris La Presse.

Une enquête de la Sûreté du Québec (SQ) qui s’étire empêche les décideurs d’avoir accès à des éléments importants pour l’avenir de deux autres enfants, toujours en vie, que les parents réclament. Le rapport d’autopsie concernant le décès le plus récent est jalousement gardé par la police.

C’est ce que révèle une récente décision de la Cour du Québec, qui lève le voile sur une histoire tragique. En seulement 18 mois, en 2020 et en 2021, deux bébés ont perdu la vie au sein de cette famille.

Le premier, Paul*, est mort en mai 2020 à moins de 6 mois. « Après enquête du coroner, la cause de ce décès demeure inexpliquée », explique le juge Louis Charette dans sa décision sur la garde des enfants survivants datée de décembre dernier.

Sa petite sœur est aussi morte dans les premiers mois de sa vie, en octobre 2021.

« Les premières constatations révèlent que Rose* a subi de nombreux traumatismes », notamment des fractures, un trauma crânien et des ecchymoses, rapporte le jugement. La Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) de Chaudière-Appalaches est rapidement alertée. La fillette est transportée d’urgence à l’hôpital, où les médecins la placent sur respirateur. Mais « en raison de l’ampleur de l’atteinte neurologique, le pronostic concernant la condition de l’enfant est sombre » et elle est débranchée quelques jours plus tard.

Elle venait de passer la journée avec son père.

C’est ce décès qui a alerté la SQ, qui enquête sur la possibilité qu’un acte criminel ait été commis. « C’est un dossier qui est toujours sous enquête, alors on ne le commentera pas », a indiqué Benoit Richard, porte-parole de la SQ.

Un rapport toujours secret

Mais cette enquête a un impact bien réel pour ceux qui doivent déterminer l’avenir des deux enfants qui vivaient à proximité de cette famille recomposée : un enfant biologique de la femme et un enfant biologique de son conjoint, âgés de 5 et 6 ans.

Leur avenir devait être tranché par le tribunal « en décembre 2021 », puis « en mars 2022 ». « À la demande de la DPJ, ces auditions furent reportées dans l’attente d’obtenir le rapport d’autopsie concernant A », indique le juge Charette.

Ce rapport est achevé depuis plusieurs mois, mais [il] n’est toujours pas accessible. En effet, ce document est toujours en possession de la Sûreté du Québec qui refuse d’en donner l’accès aux parents et à la DPJ.

Extrait de la décision du juge Louis Charette

Les parents de la famille recomposée espèrent être complètement innocentés par les éléments retenus le temps de l’enquête policière.

« Ils réfutent les allégations selon lesquelles le décès de A est consécutif à des abus physiques et conséquemment, que X et Y [les deux enfants survivants] soient en besoin de protection », rapporte le juge Charette. La mère a dit « attendre avec impatience le rapport du pathologiste afin de connaître ce qui est réellement arrivé à sa fille ».

« L’enfant a été victime d’abus physiques »

Devant l’incertitude sur les causes de la mort des deux bambins, le magistrat a décidé de procéder à sa propre analyse de la situation.

Conclusion : malgré l’absence de rapport d’autopsie, « des présomptions graves, précises et concordantes permettent au Tribunal de conclure que l’enfant a été victime d’abus physiques et que les traumatismes qui ont résulté de ces abus ont causé son décès ». Le juge a été convaincu par le témoignage d’une médecin experte.

« C’est le genre de fracture qu’on observe quand un enfant est empoigné fortement par le thorax pour le comprimer », a analysé la pédiatre Marlène Thibault. Quant à des saignements détectés au cerveau, « il s’agit le plus probablement d’hémorragies en lien avec un trauma en raison de leurs caractéristiques radiologiques », a-t-elle conclu en s’appuyant sur l’avis d’une autre spécialiste. Un traumatisme « est le diagnostic le plus probable pour expliquer la condition neurologique sévère de » Rose à son arrivée à l’hôpital.

Devant ces conclusions, le juge Charette a décidé que le couple ne retrouverait pas la garde des enfants survivants : l’une demeurera chez sa mère biologique, l’autre sera pris en charge par sa grand-mère. La mère de famille continuera à y avoir accès. Le père aussi, mais seulement pendant trois heures toutes les deux semaines, et ses visites devront être supervisées.

La mort de Paul, survenue en 2020, n’a pas fait l’objet de la même analyse.

MAlexanne Larose, qui représente l’un des enfants survivants, n’a pas voulu commenter le dossier. Sa consœur Macha Ouellet-Bernatchez représente le père. Elle n’a pas rappelé La Presse.

Le Centre intégré de santé et de services sociaux de Chaudière-Appalaches, qui englobe la DPJ locale, n’a pas voulu commenter le dossier. Quant à la question des interactions entre enquête policière et protection de la jeunesse, l’organisation nous a dirigé vers le ministère de la Santé. « Régionalement, nous ne pouvons nous prononcer à ce sujet », a indiqué la relationniste Mireille Gaudreau. Le Ministère n’a pas répondu à La Presse.

* Prénoms fictifs